La corne magique
Le rhinocéros, écrivait ou à peu près Monsieur de Buffon, est plus inexpugnable encore que l’éléphant. Le tigre, poussé par la faim, ose parfois attaquer l’éléphant en s’efforçant de le saisir à la trompe, alors que s’il se risquait à affronter un rhinocéros il serait immanquablement éventré par la terrible corne nasale… N’aie crainte, cher Monsieur de Buffon, ce que le tigre n’ose, l’homme le fera. Il suffit qu’il se trouve, au bout de la « terrible corne », du fric à ramasser.
Une chose aussi extraordinaire qu’une corne unique plantée sur le bout du nez, incongruité de la nature presque aussi excitante pour l’imagination que la corne frontale de la mythique licorne des troubadours, ne peut pas avoir été mise là par Dieu pour des prunes ! On pressent une intention hautement symbolique, l’indication de vertus merveilleuses qu’il ne reste qu’à découvrir. C’est bizarre, c’est rare, ça vient de loin, c’est dangereux à se procurer, donc ça vaut cher. Trouvons-lui un emploi, si possible prestigieux et d’efficacité invérifiable, le reste est affaire de baratin. Les médicastres chinois trouvèrent, et ce « dès la plus haute antiquité », ce qui pour les gogos constitue la meilleure recommandation. La corne de rhinocéros fut par eux décrétée puissamment aphrodisiaque. Râpée et triturée selon les rites minutieux de la pharmacopée millénaire de ce que les rédacteurs moustachus du « Journal des Voyages » cher à nos grands-pères se plaisaient à appeler « le Céleste Empire », elle est censée assurer au jeune marié cette roideur indispensable qu’il craint de ne pas trouver dans les seules ressources intimes de son amour, amour d’ailleurs très relativement passionné dans ces heureux pays à mariages arrangés d’avance par les familles. Elle apporte au vieillard épuisé par les excès sentimentaux le ressort qui lui permettra de s’envoyer en l’air une ultime fois…
Bref, alors que l’Occident grossier s’est depuis longtemps arraché à ces crasseuses recettes de sorcière à base de fiente de pigeon, de jus de menstrues et de venin de crapaud recueilli à la pleine lune, la prestigieuse traditionnelle médecine chinoise, redécouverte aujourd’hui avec des cris de joie par les ignorants de par ici affolés de médecines « autres », « parallèles », en tout cas non conformistes et flatte-couillon, la donc millénaire médecine chinoise continue à prétendre faire bander, à la poudre de corne de rhinocéros et à prix d’or, ceux qui ont les moyens de se payer cette exotique merveille.
Et donc, dans les savanes d’Afrique, dans les jungles de Malaisie, on traque, on piège, on massacre à tour de bras les quelques rhinos errants cramponnés à l’existence, en dépit des lois et des flics – lois faciles à tourner, flics faciles à suborner, en ces terres de misère – afin que les apothicaires chinois puissent vendre leur poudre de perlimpim-pin, sans doute mêlée d’une bonne proportion de poussières de balayage !
La clientèle, à mon avis, doit se recruter parmi les Chinois de Taiwan ou d’autres pays où abondent les Chinois riches, puisque en Chine populaire, vu l’implacable contrôle des naissances et des coïts, il semblerait que le citoyen doive plutôt chercher à juguler ses élans amoureux.
Mais quelle taraudante obsession de ne pas bander torture donc ces Asiates ? C’est vraiment un tel problème pour eux ? La hantise de l’impuissance les tourmente à ce point ? J’ai cité la corne de rhino, mais savez-vous qu’on massacre aussi les bébés phoques, indépendamment de leur fourrure si prisée des sinistres connasses de chez nous, pour leurs mignons testicules qui, broyés et dilués selon les règles, donnent eux aussi un regonfle-quéquette presque aussi apprécié des Chinois que la corne de rhino, et un peu moins coûteux ? Une usine spécialisée dans cette extraction de jus de couilles de bébés s’est même montée en Afrique du Sud, là où les phoques, par dizaines de milliers, viennent s’accoupler et mettre bas.
Mais, bon dieu, que font donc les femelles chinoises, ces extraordinaires femmes d’Orient, ces geishas, ces mousmés dont on vante si haut l’incomparable science des choses de l’amour et de la volupté ? Si leurs mâles sont feignants de la braguette, qu’elles leur fassent donc des pipes ! Enfin, quoi.