Foi exclut tolérance
L’intolérance – rebaptisée branché « intégrisme » – monte en flèche. L’intolérance est le thermomètre de la foi. Elle monte ou descend avec elle. Quand la foi se fait tolérante pour les autres fois, c’est qu’elle est en perte de vitesse. Un croyant sincère et conséquent ne peut admettre qu’une autre vérité que la sienne puisse être vraie, qu’un autre dieu puisse coexister au sien. Puisque sa vérité est LA Vérité.
Un croyant, donc, ne peut être qu’intolérant, et même férocement intolérant, puisqu’il y va de choses essentielles, les plus essentielles de toutes : notre raison d’être ici-bas, les fins dernières de toute chose, la vie éternelle, la damnation, la nature de Dieu et la façon précise dont Il veut qu’on lui rende hommage… Pour un croyant, cet enjeu est le seul enjeu qui vaille la peine.
Si je croyais, ma foi dominerait et orienterait toute ma vie, chaque acte, chaque pensée. Je serais bouleversé à l’idée des millions d’humains dans l’erreur, voués aux éternels supplices et, surtout, privés de l’illumination de la certitude.
Un croyant ne peut être qu’intolérant, ou alors il est incohérent. Se satisfait d’un à-peu-près tiédasse. Ne va pas au fond des choses. Quiconque n’est pas fanatique ne croit pas vraiment.
Un croyant tolérant (qui se croit sincèrement tolérant) est au fond un résigné. Parce qu’il n’a pas les moyens d’imposer son point de vue, il « tolère » – c’est bien le mot ! –, avec condescendance ou avec douleur, que les infidèles pataugent dans l’erreur, mais il n’oublie pas que c’est une erreur, il ne leur accorde pas la possibilité d’avoir raison. Une véritable tolérance serait celle qui, prudente, se dirait qu’après tout on n’est sûr de rien et que la vérité de l’Autre est peut-être la vraie vérité… Mais une telle position serait de l’agnosticisme, c’est-à-dire le contraire même de l’esprit religieux ! La foi, par définition, exclut le doute.
Ce réveil des fanatismes est tout bonnement un sursaut du sentiment religieux. Manipulé, bien sûr, par les politiques, mais la résurgence religieuse a précédé la manipulation politique, qui ne fait qu’utiliser ce qu’elle a sous la main.
Le christianisme se fait gloire d’être la première religion au monde à avoir donné même valeur à tous les humains, à avoir, en somme, proclamé ce qu’aujourd’hui nous appelons « les droits de l’homme ». Il y a du vrai. L’Évangile se veut précepte d’amour et de fraternité. Mais, en fait, ses prêtres, aussi longtemps qu’ils le purent, professèrent une intolérance absolue, rejetant toute religion autre que la leur, et même toute nuance d’interprétation d’un point mineur du dogme, comme fausse, impie et inspirée par le démon, et donc à combattre, au besoin par le fer et par le feu. Ils étaient alors dans la droite ligne d’une logique religieuse bien comprise, le prosélytisme faisant partie des devoirs du chrétien.
Cet « humanisme », cet intérêt pour l’homme terrestre, qui est la conséquence même de la lettre de l’Évangile, il fallut l’imposer à l’église, et c’est de l’esprit de révolte contre l’Église qu’est sortie la démocratie. Les « intégristes » religieux de tout bord le sentent bien, qui, toujours, rejoignent les pires réactionnaires politiques. Combien de nostalgies malsaines recouvre le mot tant vénéré de « tradition » !
La pulsion imbécile du fanatisme, son étroitesse de pensée, son intransigeance, ne sont pas des aspects fâcheux et dévoyés de la religion, ils sont la religion même « dans sa pureté originelle, dans la touchante dévotion des âges naïfs », comme disent ceux qui parlent comme ça. C’est elle qui s’arrache à l’indifférence où elle s’enlisait et flambe en ce moment un peu partout dans le monde. Il en est pour s’en réjouir. Car, en désespoir de cause, ils fondent leurs ultimes espoirs sur la foi, n’importe quelle foi, pour régler dans l’harmonie ces problèmes posés par la civilisation technico-ploutocrate et la pullulation insensée de l’espèce humaine. C’est aller voir la cartomancienne pour guérir son cancer…
Aucun régime politique n’a su éliminer l’esprit religieux. Les bolcheviks, semble-t-il, n’ont fait que persécuter, sans éduquer. Aussi n’est-ce pas la raison (l’intelligence, si vous préférez) qui mène les affaires humaines, mais bien les ancestrales pulsions instinctives, purement animales, qui déjà faisaient agir l’homme de Cro-Magnon : peur, avidité, agressivité, cupidité, sexe, besoin de vaincre, d’humilier… L’intelligence n’étant admise qu’au titre de fournisseur d’armes et de fourberies.