Frères en souffrance
Toute souffrance est haïssable. D’homme, d’animal, de tout être vivant bâti pour ressentir la souffrance et la peur. Distinguer entre la souffrance des uns et celle des autres procède d’un aveuglement délibéré au fond duquel se tapit la trouille. On sacralise l’homme, et l’homme seul, parce que l’homme, c’est toi, c’est moi – moi surtout ! – et que si l’homme n’est plus sacré pour l’homme, nous sommes, chacun de nous, toi, moi – moi surtout ! –, en grand danger.
L’homme est sacré pour l’homme. Il fut conçu à l’image même de son Dieu, la Terre lui appartient avec tout ce qu’il y a dessus, minéral ou vivant. Il a le droit d’en faire ce qu’il veut. Il a le devoir d’en user pour le bien des autres hommes, ses frères. En particulier s’il s’agit de « sauver des vies humaines », noble justification des pires saloperies.
L’homme est mon frère, certes. Le chien l’est aussi. Et le singe, et l’ours, et l’éléphant. Et l’araignée. Oui, l’araignée aussi. Est mon frère quiconque peut, comme moi, souffrir, avoir peur, aimer, mourir. Je souffre avec tout ce qui souffre, avec l’enfant noir au ventre vide, avec la fiancée de Beyrouth aux jambes arrachées, avec le singe cloué sur une planche dont on déroule les intestins, « pour voir ». Leurs yeux hurlent la même horreur, la même folie : la souffrance.
« Au nom de la Science. » Majuscule. Menteurs ! Ce que vous appelez « science » n’est nullement la curiosité sacrée, la recherche désintéressée de la vérité, la quête de la connaissance sans rien d’autre au bout que la joie de connaître. Ce que vous appelez « science », ce sont les petites retombées payantes de cette quête, et si vous tolérez les savants, si vous les honorez, c’est à condition qu’ils vous pondent dans la main des gadgets qui, comme dit Ducon, « soulagent la peine des hommes »… Et le réduisent au chômage, mais ça, Ducon ne le dit pas, ou pas à ce moment-là.
En ce moment même, on torture à tour de bras, en des milliers de lieux clos de par le monde. On torture pour mettre au point des cosmétiques, pour tester des médicaments, ou à titre de démonstration pédagogique… Rarement pour la recherche fondamentale.
Il faut que cesse l’orgie sanglante. La peau humaine est-elle donc si précieuse que, pour qu’une mémère puisse se maquiller sans risquer d’attraper des boutons, on doive sacrifier des milliers de lapins à chaque fournée de fard ? Ne devrait-on pas, en priorité, pousser l’élaboration de méthodes de substitution destinées à la recherche ?
Pour cela, il faudrait avant tout que l’on considère l’animal non plus comme un objet, mais comme un être vivant à part entière. J’ai failli écrire « comme un être humain » ! Blasphème…