Moderne
Qui osera dire que l’art « moderne » n’existe pas ? Qu’on se fout de notre gueule ? Qu’on nous a tellement rebattu les oreilles avec les biographies navrantes des Van Gogh, Utrillo, Modigliani et autres géniaux précurseurs moqués, méprisés, crevant de faim, et devenus APRÈS LEUR MORT champions du monde des prix de vente, qu’on nous a rendus méfiants, frileux, n’osant plus dire qu’on n’aime pas pour ne pas avoir l’air d’un con, et nous fiant yeux fermés au jugement des experts, c’est-à-dire aux prix décidés par les marchands fabricants de renommées ?
Quand je m’emmerde, je m’emmerde, et rien ne peut me persuader que je me régale. Les ferrailles informes et prétentieuses qui encombrent le quai Saint-Bernard, par exemple, promu « musée en plein air de la sculpture », me font grincer de rage chaque fois que je passe par ces lieux, pourtant bien attirants. Une gigantesque tôle découpée en forme de décapsuleur de bouteille de bière, un énorme tuyau de tôle en forme de tuyau, mais peint en rouge, une boule de pierre qui a l’air d’être en ciment et qui l’est peut-être… Un dépotoir de brocanteur, un cimetière planté d’idoles ratées…
Le pékin se sent exclu. N’ose rien dire. Il sait que c’est de l’Art, que ça coûte très cher. Il a honte de ne pas aimer, de ne pas comprendre. Mais dis-le, pauvre mec ! Dis-le que c’est laid, que c’est triste, que c’est bâclé, que c’est de la provoque snob et pseudo-intello… Que c’est du terrorisme de fumiste ou d’incapable… Dis-le, mon frère quidam !
Au pied de ces choses, un pavage qui se veut « à l’ancienne ». Tout neuf et déjà brèche-dents, décollé, mal foutu… Toute une symbolique, toute une évolution : on se torture la cervelle pour inventer de l’inouï facile à bricoler mais on est incapable de poser proprement des pavés.