Art brute

 

Paraît que ça s’appelle des « tags ». Ah, ouais ? Ces dégueulasseries sur les murs ? Bah, pourquoi pas. Ça vient d’où, ce mot ? C’est de l’américain, voyons. La chose vient d’Amérique, le mot aussi, normal. Alors, va te faire foutre, je ne l’emploierai pas, ton mot. Je le hais autant que je hais la chose. Je ne dirai pas non plus « graffitis », parce que ça n’en est pas. Calligraphies d’analphabètes, bavochures de débiles profonds heureux et fiers de l’être, diarrhées de mongoliens jouant avec leur merde, piteux défis de l’anti-conformisme bien conforme, révolte-bidon, étrons verticaux chiés par des déchets ayant un trou du cul à la place du cerveau et voulant que ça se sache…

Cette lèpre nous vient donc d’Amérique, comme Euro-Disneyland, comme le Coca, comme le langage branché, comme toute la merde qui nous submerge, nous, minables franchouillards à béret basque colonisés jusqu’à l’os, et que nous avalons goulûment, pauvres sous-développés émerveillés que nous sommes.

C’est sale, c’est triste, c’est monotone, c’est cafardeux, ça te pourrit par l’œil et te démolit la journée dès le matin, à peine tu mets le pied dehors. Surtout, c’est con ! Mais con ! Triomphalement. Le glapissement de l’idiot du village qui n’a rien à dire mais qui veut gueuler et qu’on l’entende. La revanche du bon à rien qui, bien incapable de faire quelque chose de ses doigts, ravage, profane et, s’il le pouvait, démolirait ce que des gars habiles et pas feignants ont su créer. Ça pue l’impuissance haineuse, voilà.

Et puis, c’est une mode. J’abomine la mode quand elle n’est que la mode. Surtout la mode qui se veut « jeune ». Rien de plus moutonnier que l’anti-conformisme de masse.

Si encore ils ne dégueulassaient que les beaux quartiers, on comprendrait leur rage, leur explosion désespérée de parias parqués à vie dans les bagnes cubiques des banlieues-dépotoirs. Mais les beaux quartiers sont bien gardés, la témérité n’a rien à voir dans leur « révolte ». Alors, c’est d’abord leurs propres (!) murs qu’ils conchient, puis les métros, les trains, les monuments, les rues tranquilles…

Ça ne semble gêner personne. On courbe l’échiné. On s’est résigné à la merde, là comme ailleurs… Après tout, je vous le demande, là, les yeux dans les yeux, est-ce vraiment plus insupportable, plus agressif, plus obsessionnel, plus insultant pour le goût et l’intelligence, plus violateur de la vie intime que les tonitruances publicitaires qui hurlent leurs niaiseries margoulines sur nos murs ? On s’y est bien habitués, non ? On s’est bien habitués, moutons dociles, à la goujaterie de la pub qui vous arrive en pleines gencives au beau milieu du film et vous casse l’ambiance en vraie grosse salope qui a tous les droits… Alors, hein, les tortillons sur les murs…

Mais j’y pense, mais justement, mais pourquoi, s’ils ont tellement envie de faire joujou-caca avec leurs saletés de bombes, ces valeureux anges noirs, pourquoi ne dégueulassent-ils pas les affiches ? Coller des bacchantes au beau gosse plein de dents qui veut te faire acheter un ordinateur dont tu n’as rien à foutre, fourrer un paf géant dans la bouche de la connasse qui fait la pute pour le « Printemps » ou pour « Vittel » (Il y a mieux à trouver, d’accord !) ça, oui, ce serait profanatoire (et dangereux : la pub, c’est sacré, c’est du pognon, hé là !)… Faire déconner toutes ces bonnes tronches vendeuses de pacotille de merde, avec des bulles, comme dans les bandes dessinées… Ça s’est d’ailleurs fait, dans les années baba-cool, l’élan avait été donné par « Hara-Kiri ». Il y en avait de très marrantes, c’était un bonheur d’en découvrir de nouvelles… Ouah, hé, l’autre, hé ! Justement, papa, ça ferait baba ! Je crache ! Nous, on est de notre temps, et notre temps, c’est pas hier, c’est pas demain, c’est maintenant. Juste maintenant. Et si notre temps est con, soyons cons. Vivent les cons !

Ben oui, je vous comprends, mes petits. Tant pis. J’aurais bien sûr préféré que vous soyez drôles, sacrilèges, critiques, démolisseurs... Que vous ayez essayé, tout au moins. Mon indulgence vous était acquise, et même mon admiration. Mais bon, le fin du fin, le chic du chic, le branché du branché, c’est de ne pas critiquer, de ne pas délivrer de message, surtout pas ! Ignorer le contexte. La marginalisation totale. Avoir bien soin qu’aucun tortillon gribouillé ne risque d’avoir vaguement un air de ressemblance avec une lettre de l’alphabet. Être con de naissance, mais se donner l’air de l’avoir fait exprès.

Et quand tous les gribouillis se seront rejoints, quand toutes les surfaces seront uniformément noires, on gribouillera en blanc. Les marchands de peinture en bombe se reconvertiront-ils assez vite ?

Coups de sang
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