Pondeuses

 

Ceux qui vont proclamant, à longueur d’année, sur toutes les plates-formes où ils ont accès : « Faites des enfants ! La France se dépeuple ! L’Occident se désertifie ! Pendant ce temps, les barbares du Tiers-Monde, ces affamés, ces illettrés, se multiplient comme des lapins lubriques. Quelles troupes s’opposeront à leurs hordes ? » Et surtout, argument massue : « Qui paiera vos retraites, si vous ne pondez pas les futurs cotisants ? »

La guerre, la ruée des hordes, on n’y croit jamais vraiment, tant qu’elle n’est pas là. La retraite, ouillouille, ça, c’est du sérieux, ça. On a commencé à barrer les jours sur le calendrier depuis la première heure du premier emploi, on en rêve, on s’y cramponne, on ne survit que grâce à la riante image… Là, oui, on est en plein dans le concret. Surtout qu’on prend la peine de tout vous expliquer bien à fond, et d’y revenir souvent pour être sûr que vous avez tout compris. Les cotisations que vous versez aujourd’hui constituent un capital qu’il faut faire fructifier pour qu’il crache des bénéfices, lesquels seront, hé oui, vos retraites. Qui les fera fructifier ? Les travailleurs de demain, qu’il faut donc enfourner aujourd’hui. Élémentaire.

Mensonges. Un travailleur, aujourd’hui, produit dix, vingt, cent fois plus qu’un travailleur d’hier ou d’avant-hier, selon son secteur d’activité. Un travailleur de demain produira dix, vingt… fois plus qu’un travailleur d’aujourd’hui. Ce qui est ainsi produit, c’est du profit. La même quantité de travail humain produit un profit fantastiquement multiplié, de génération en génération. C’est le progrès, bravo, vous avez compris.

Et donc, de même qu’un seul paysan, aujourd’hui, produit autant que, disons, vingt paysans de 1900, et par conséquent nourrit vingt fois plus de morfalous, le profit issu du labeur d’un travailleur quelconque peut payer les retraites d’un certain nombre de pensionnés en plus de la sienne propre… À condition que ce profit multiplié soit réparti ainsi qu’il le devrait. La machine, l’automation, la robotique, « allègent », comme on se plaît à dire, la peine des hommes en faisant le travail à leur place… et en les réduisant au chômage. Les entreprises produisent toujours plus avec un personnel humain toujours plus réduit. La production augmente, augmente… La production, c’est-à-dire le profit. Où va ce profit ? Pas dans la poche des travailleurs : il n’y a plus de travailleurs (Ou si peu ! Et plus pour longtemps…). Pas non plus dans celle des retraités. (Retraités ? Il y aura des retraités ?) Le profit va tout droit dans la poche des propriétaires de l’« outil de travail », c’est-à-dire des entreprises, c’est-à-dire, de plus en plus, des énormes multinationales et des banques dont elles émanent (ou émanant d’elles).

Résumons. Le profit augmente, le nombre de travailleurs diminue. Puisqu’on s’accroche à la fiction que les retraites sont non pas fonction du profit produit par le travail, mais seulement fonction des cotisations versées par chaque travailleur, il est évident que, le profit du travail tendant vers l’infini, les retraites tendront vers zéro. Et ce n’est pas en pondant des gosses à s’en péter la matrice que les vaillantes mères de famille y porteront remède. Elles ne pondent que de futurs chômeurs, pas des producteurs.

Un problème se posera tôt ou tard. Ces marchandises crachées à cadence folle par l’industrie, qui les achètera, s’il n’y a plus suffisamment de consommateurs à niveau de vie suffisant ? Oui, eh bien, ce problème-là, on le résoudra le moment venu, comme toujours.

Donc, ceux qui nous poussent à faire des enfants en prétendant assurer ainsi nos futures retraites se foutent de nous. Mais alors, pourquoi font-ils cela ? Quel intérêt ont-ils au lapinisme encouragé ?

Avoir des bataillons bien épais à opposer à l’imminente ruée du Sud en haillons contre le Nord qui pète dans la soie, à cette ruée à laquelle, insidieusement mais de plus en plus, on prépare nos petites têtes pusillanimes depuis que la grande classique menace bolchevique a disparu de notre horizon ? Comme si la guerre, de nos jours, était affaire d’effectifs ! Et même si c’était le cas, pensez-vous que dix pour cent de Français en plus (encore aurait-il fallu que les mères pondeuses françaises en eussent mis un drôle de coup !) que dix pour cent de pioupious français en plus pèseraient lourd devant la formidable prolifération des foules arabes, hindoues, africaines, sud-américaines… ? Submergés, oui.

Il reste un dernier argument, le plus efficace quoique le moins franchement avoué : la trouille que la « race » française ne se dilue dans l’apport massif de sang métèque. « Que diriez-vous si votre fille voulait épouser un nègre ? » À cette question pierre de touche, qui naguère eût fait sursauter l’interrogé, le Français moyen répond aujourd’hui de façon nuancée, il sait que le racisme est vilain, il sait ce qu’il est de bon ton de dire dans le micro. Élargissons le champ : « Que diriez-vous si toutes les Françaises voulaient épouser des nègres ? » Là, nous obtenons un sursaut nettement plus spontané. Une France café-au-lait ne serait plus la France, celle de Jeanne d’Arc, celle de la Vierge de Lourdes. (En France, la Sainte Vierge est blonde, l’Enfant Jésus est blond. « Blond comme les blés », se plaît-on à dire. Car les Français se croient blonds. En Afrique catho, la Sainte Vierge est-elle noire ? A-t-elle des lèvres à plateaux ? Son divin Fils est-il cloué, noir et crépu, sur une croix d’ébène ?) Nous touchons là aux réflexes de clan. L’animal montre les crocs. Monsieur le Pen le pousse au cul et fait « Kss, kss ! »

Il est notoire que, sur ce point, l’encouragement à la natalité forcenée, tous les gouvernements, tous les régimes, quelle que soit leur idéologie, et ce depuis Pétain qui inaugura la chose, ont suivi la même politique. Comme si la vitalité d’une nation se mesurait à sa densité de population au kilomètre carré. On dirait des mômes : « Moi, des billes, j’en ai plus que toi, lalaire ! » Fascination du nombre.

Soyons sérieux. Faire des enfants, c’est faire des chômeurs, c’est faire des malheureux, des aigris, des mal dans leur peau. C’est entasser de la chair à canon ou des contingents de mercenaires paramilitaires pour les aspirants-dictateurs de l’avenir.

C’est peut-être aussi, direz-vous, grossir les rangs des révoltés qui sauront forcer le capital à répartir plus justement le produit du travail, et donc à payer les retraites. On n’a pas pris le plus court chemin, mais tu vois, finalement, on y arrive !

Humm… Tu y crois vraiment ?

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