Pureté
Mais, nom de dieu, cessez de nous parler de lessives, de savons, de rides, de crème à raser, de shampooings, de cors aux pieds, de papier-cul, de matelas, de margarine, de trouille de grossir, de trouille du Sida, de pneus antidérapants, de cotiser pour ne pas crever à l’asile des vieux… Cessez de nous jeter à la gueule nos petits problèmes emmerdants, de nous rappeler obsessionnellement ce qu’il fait si bon oublier, de temps en temps, par exemple le soir, quand nous essayons de nous délasser devant la télé.
Que penseront de nous, de notre civilisation, les archéologues de l’avenir, si toutefois il y a un avenir et des archéologues dedans, de cette obsession de pureté : chiottes étincelantes, aisselles inodores, linge plus blanc que le blanc, eau pure de nos cellules, carrelages et parquets à se mirer dedans… et des colossales montagnes de déchets qui feront que la couche géologique correspondant au dernier quart du vingtième siècle occupera à elle seule une épaisseur plus grande que celle qu’occupent les trente millions d’années des roches de l’ère quaternaire ?
Notre civilisation : une jolie fille, pomponnée et maquillée, assise sur un tas de merde.
Et sur un tas de cadavres : ceux des peuples crevant de faim et de misère, ceux des animaux assassinés, torturés, pour notre confort, pour notre gourmandise, pour nos caprices.