Le cochon hilare

 

La publicité s’adresse aux imbéciles. Et aux brutes. Toujours. Elle ne fait pas le détail. Elle ne peut pas. Elle doit obtenir l’effet maximum sur le plus grand nombre. Les délicats feront la grimace, mais ils suivront, vaille que vaille : c’est ça ou rien. La publicité est le plus puissant des agents de nivellement par le bas ou, pour parler plus cru, d’abrutissement du populo.

Le mauvais goût ne lui fait pas peur. Le mot est faible quand il s’agit des réclames des fabricants de cochonnailles, conserves de viande, condiments, enfin de tout ce qui touche à la bouffe. On y voit des cochons hilares, des bœufs heureux, des agneaux bouclés proclamant bien haut leur joie d’être dévorés sous le label de telle ou telle marque, ou assaisonnés avec telles ou telles épices.

« Que Maille qui m’aille ! » proclame le bœuf, riant à gorge déployée. Il n’a pas plus la trouille du calembour merdeux (la forme la plus méprisable de ce qu’on ose appeler « l’esprit ») que des mâchoires des dévorants, le brave bœuf ! Il est fou de joie à l’idée que ses morceaux de choix seront assaisonnés par cette moutarde haut-de-gamme ! Et le « logo » de Fleury-Michon, ce cochon rose qui cligne de l’œil au gourmand, comme une pute racolant sur le trottoir ! Encore ne fait-elle que prêter son cul pour un petit moment, la pute. Il n’est pas question de la débiter en saucisses.

Mais, pauvres tristes brutes, vous ne vous rendez donc pas compte que, lorsqu’on a faim et qu’on pense « saucisson », on veut oublier que le saucisson ne pousse pas sur les arbres, on veut surtout oublier le gentil cochon qu’il faut hélas égorger pour avoir le saucisson ? Vous, au contraire, vous nous interdisez d’ignorer le meurtre, vous l’exaltez, vous le rendez allègre et mutin ! Enfin, quoi, rappeler obstinément à vos éventuels clients que la viande que vous leur vantez n’est que de la bête vivante assassinée, ça devrait les rebuter, leur faire horreur, non ?

Vous ricanez, condescendant. Je suis vraiment innocent, hein ? Vous, vous savez bien que c’est juste le contraire. Vous savez bien que l’évocation de la bête joyeuse et sans souci éveille chez le brave bougre tout-venant des impressions de bonne santé, de fraîcheur, donc de viande de qualité, et c’est tout ce qui importe. Le cochon rit, rien que ça vous met en joie et en appétit. Peut-être même le rappel que ce qu’on a dans l’assiette, nappé de sauce, fut une bête insouciante qui vivait sa petite vie sans se douter qu’elle n’était que ça : un futur morceau dans votre assiette, puis une future flaque dans vos chiottes, peut-être cette idée contribue-t-elle à votre plaisir, cannibale ! Vous ne subissez nullement à contrecœur l’obligation maudite de tuer pour manger, de torturer pour chatouiller vos petites papilles gourmandes : votre plaisir en est décuplé, c’est un supplément au programme !

J’ai vu, tout à l’heure aux infos, des « chefs » réputés distribuer des tartines de foie gras aux petits enfants d’une école « pour les initier aux bonnes choses et à la gastronomie, cet art bien français ». Les mômes disaient « C’est bon », le présentateur était tout attendri, l’institutrice, flattée de l’honneur, souriait à la caméra… Hé, toi, l’instite, leur as-tu expliqué, à tes merdeux, comment on l’obtient, le foie gras ? Ce que c’est que le gavage des oies ? L’épouvantable supplice qui aboutit à cette rondelle de graisse parfumée ? L’as-tu fait ? Bien sûr que non. Tu es une bonne petite fonctionnaire docile, tu éduques les enfants dans le respect des bonnes choses et de la Tradition… T’es-tu seulement jamais posé la question ?

Quelle question ? Il y a une question ?

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