Charognes décoratives

 

Le vétérinaire me parlait. Il m’expliquait pourquoi mon chien bien-aimé n’était pas en aussi belle forme qu’il aurait dû, et moi je n’arrivais pas à vraiment m’intéresser à ce qu’il me racontait, chose qui pourtant m’importait énormément. Cela l’agaçait. C’était un brave homme de vétérinaire, il aimait son métier et il aimait les bêtes, ce qui n’est pas toujours le cas. Il ne pouvait pas deviner que j’étais horrifié par le pied de cheval artistement évidé qui, sur le coin de son bureau, faisait office de pot à crayons. Un authentique pied de cheval, de cheval énorme, un percheron, peut-être bien, coupé sur la bête, si ça se trouve un objet chargé de souvenirs ou rayonnant de symbole, avec son sabot à la corne bien astiquée, son fer luisant, ses longs poils gris-fauve soigneusement peignés… Un bel accessoire de bureau, original et de bon goût, et tout à fait allusif, en plus, je ne sais si vous avez remarqué, juste le bon cadeau pour un vétérinaire ! Peut-être l’hommage d’un éleveur reconnaissant.

Et moi je me disais que si ce gars avait été médecin il n’aurait certainement pas orné son bureau d’un pied humain naturalisé avec ses couleurs de bonne santé, les ongles vernis, évidé bien proprement pour servir de pot à crayons ou, pourquoi pas, prolongé jusqu’à hauteur de genou par un mollet poilu avec muscles harmonieux, afin de servir, couronné d’un abat-jour cossu, de lampe de travail. Et, tant qu’on y était, pourquoi pas une jambe de femme au galbe émouvant, crânement cambrée sur son talon aiguille, cuisse comprise, avec porte-jarretelles et jupette sexy faisant abat-jour ?…

Je me disais qu’une sage-femme ayant le respect de sa clientèle repousserait, quoique peut-être à contrecœur, l’idée amusante de décorer sa salle d’attente de gracieux fœtus flottant, rêveurs, dans des bocaux de cristal aux pimpants reflets…

Le pied d’un cheval mort, la tête d’un cerf garnie de ses bois, la patte d’un éléphant (comme porte-parapluie !), un écureuil empaillé, sont des objets décoratifs. Un pied d’homme, une main d’homme, une tête d’homme, sont des lambeaux de cadavre.

J’ai connu un gars qui allait aux abattoirs ramasser, moyennant coup à boire aux tueurs, les testicules des bœufs pour les tanner et en faire des bourses (après tout, ça reste sous la même rubrique dans le dictionnaire). Des bourses hirsutes, plus il y avait de poils plus c’était prisé des amateurs. Eût-il osé agir de même avec des testicules humains ? Certainement pas, nous sommes bien d’accord. Pourtant, existe-t-il une loi qui interdise la chose ? Je veux dire, sans profanation de cadavre, après accord réciproque dûment paraphé ? On peut bien, de son vivant, céder d’avance ses organes pour de pieux usages : greffe des reins ou d’autres pièces détachées. Il y a même des Banques tout spécialement vouées à cette charitable activité. Je ne pense pas qu’il faille voter une loi particulière pour autoriser la chose, il semblerait qu’une signature suffise. Pourquoi ne vendrait-on pas ses testicules pour en faire une aumônière, son pénis pour en faire un fume-cigare ou un godemichet ? Mais peut-être, dans ma naïveté, arrivé-je trop tard, et ce dernier emploi est-il depuis longtemps en usage dans les milieux où l’on ne regarde pas à la dépense quand il s’agit d’être branché à la toute dernière branche ?

Oui… Revenons à notre propos, qui est celui-ci : le cadavre d’un animal n’est pas vraiment cadavre, au plein sens du terme. Il inspire peut-être le dégoût, voire l’horreur, à l’extrême rigueur et aux âmes pusillanimes. Jamais le respect. La peau d’ours blanc écartelée au pied du lit, mâchoires béantes et yeux de verre irradiant une dérisoire menace, n’offusque pas. L’ours vivant n’est qu’une descente-de-lit en puissance. Mort et tanné, il accomplit enfin son véritable destin.

Ô belle inconnue qui, l’autre jour, te trouvas, toi, ton parfum du bon faiseur et ton somptueux manteau taillé dans je ne sais quelle fourrure mais assurément pas dans de l’acrylique, seule avec moi dans cet ascenseur qui nous propulsait vers je ne sais plus quels audiovisuels où nous allions vendre nos respectives camelotes, ô toi, la très belle, si tu savais quelles terribles secondes je vécus alors, à retenir ma main droite de balancer sur tes joues ombrées de cils parfaits la formidable paire de baffes qui n’eût, certes, rien valu de bon pour ma renommée, mais m’eût, sur l’instant, fait tant de bien, tant de bien !

Coups de sang
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