Le sens du cadeau
« Un chien bien élevé ne vient pas mendigoter lorsqu’on est à table. » Bien élevé, c’est-à-dire « bien dressé ». Le dressage consiste à habituer l’animal à faire violence à ses pulsions spontanées pour se conformer à la conduite qu’il nous plaît de lui voir adopter. Quémander de la nourriture à table est mal élevé. Cela importune les invités, et puis cela pourrait donner à penser qu’il est mal nourri, honte !
Or un chien, un chat, même grassement nourris, quémandent. Surtout quand la famille est à table, puisque c’est le seul moment où de la nourriture est présente. Ils n’ont nullement faim, ils ne « mendient » pas. Ils attendent, ils réclament ce qu’ils estiment leur être dû de par les lois de l’amitié et de l’amour : le cadeau.
La notion de cadeau est très forte chez eux. Elle est même un des plus puissants ressorts du dressage, utilisée sous forme de « récompense ». Le cadeau, c’est un lien entre nous et eux, une marque tangible d’amitié, d’amour. Tout à fait comme entre humains, hé oui. Il ne demande pas un partage équitable, le chien. Une miette le comble. Et puis, bien sûr, une autre après celle-là ! Le cadeau, c’est comme la caresse : il faut le renouveler, on ne s’en lasse pas. Va donc résister quand le chien, d’une patte impérieuse, t’effleure la cuisse, un seul coup, mais combien éloquent, et puis te regarde comme ils regardent, attendant son dû !
Bien sûr, on peut toujours dresser un chien à ne pas quémander, on peut toujours tout obtenir d’un chien. Et après ? On aura réfréné un élan tout naturel et bien innocent, on aura amputé cet ami d’une source de plaisir, on lui aura fait rentrer dans la gorge un désir d’amour, on sera fier d’être si bien obéi.
Belle victoire.