Attraper le Sida à Lourdes

 

Les millions de malades qui, chaque année, accourent à Lourdes, croient-ils au miracle ? Bien sûr, gros bêta, sans quoi ils ne viendraient pas. L’espèrent-ils ? Beuh… Oui, sans doute, comme on espère gagner le gros lot au loto. En tout cas, les millions de non-miraculés s’en retournent apparemment pas trop déçus, sans quoi ils casseraient tout dans la grotte à coups de béquilles, n’est-ce pas ? Or ils s’en vont avec dans les yeux une extase encore plus grande qu’en arrivant, et dans la poche plein de médailles bénites. Donc, ils sont contents, c’est le principal.

Et si, par chance extrême, ils ont pu voir un collègue (devrais-je écrire un « comalade » ?) envoyer promener ses béquilles, ou sa petite voiture, ou son chien d’aveugle, en criant « Miracle ! » et « Hosanna ! », alors, là, ils tombent à genoux, s’ils ont des genoux, les yeux au ciel, les bras en croix (s’ils ont des bras). Sans rancune ni aigreur, notez bien, et c’est là le vrai miracle des miracles. La Sainte Vierge a ses têtes, que voulez-vous, on ne lui en veut pas, simplement on reviendra l’année prochaine, ce sera peut-être notre tour.

En cette calamiteuse fin d’un siècle qui avait pris le départ ventre à terre vers les lumières et le progrès, le miracle reprend massivement du poil de la bête. Pas seulement chez les guérisseurs, les marabouts, les gourous, les transcendantaux, tous ces petits bricoleurs aux ongles sales favorisés du « don » salvateur (On dit « charisme », hé patate. T’as pas la télé ?) qui tiennent boutique de miracles, mais aussi dans les puissantes organisations multinationales, succursales terrestres du Grand Suprême Machin, lesquelles ne veulent pas se laisser ôter la manne de la bouche par des gougnafiers individualistes et gâche-métier. La plus directement concernée par le surnaturel bien tempéré étant l’Église catholique, apostolique et romaine.

Elle s’est dotée d’un sacré pape, la gueuse. Vachement vendeur. Un Tapie en soutane blanche. Et qui met la sauce ! Pas un de ces petits papouillards réticents qu’on avait avant, presque honteux de faire leur signe de croix devant le monde, non non, un qu’a pas la trouille de tomber à quatre pattes (C’est son truc à lui, ça : à peine descendu de l’avion, hop, il plonge. Les médias adorent.). Et il interpelle la Sainte Vierge : « Ô femme ! Ô sœur ! Ô mère !… » Du Baudelaire. Voilà une Madone comme je les aime : généreuse de poitrine, ample des hanches, blanche et douce du ventre, les bas bien tirés par le porte-jarretelles. Du Rimbaud : « Monceau d’entrailles, pitié douce… » Le petit Jésus disparaît de plus en plus derrière les jupes de sa maman. Quant à son cher vieux papa, il y a beau temps qu’on l’a envoyé en préretraite. La religion se fait décidément femelle, tant mieux si tu aimes, tant pis si t’es homo.

Les chrétiens marchent de plus en plus au miracle, de moins en moins à la morale. Les chrétiens français, en tout cas, ne vont plus à confesse. De temps en temps, un archevêque ou l’autre vient nous le déplorer à la télé. C’est qu’ils ne croient plus tellement au péché, plus du tout à l’enfer, voyez-vous. Hé là ! Ça ne va pas, ça ! Pas du tout ! Plus d’enfer, ça veut dire tout est permis. Vous voyez où ça mène ? Oh, oui, je vois : on y est déjà. Mais que voulez-vous, les mœurs évoluent, la société devient permissive, la religion ne peut pas se permettre de rester en arrière. On n’est plus au temps d’Abraham. Ils ne veulent plus brûler à perpétuité, c’est humain. Et c’est contraire aux Droits de l’Homme, qui spécifient que le châtiment doit concourir à l’amendement du délinquant. Alors, ils veulent un enfer avec possibilité de réinsertion au paradis après période probatoire. Et des permissions. La hiérarchie serait plutôt d’accord, dans son ensemble. Le pape se tâte. L’enfer, ce n’est pas tellement son domaine. Lui, ce serait plutôt les choses du bas-ventre. Là, il est très ferme : pas de pilule, pas d’avortement, pas d’utilisation d’orifices inadéquats, pas de préservatifs, le Sida est la sanction divine du péché, cherchez bien, vous avez certainement fait quelque chose que vous n’auriez pas dû, à genoux, mes frères, remerciez le Seigneur, et cessez de vous gratter quand je parle.

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