La charité au nez rouge

 

La charité a mis son nez rouge. La charité fait le pitre. Gluante, poisseuse, poissarde, elle dégouline des petits écrans, elle fait la retape et montre son cul. C’est pour les petits enfants malades, c’est pour la recherche, c’est sacré, c’est le Téléthon ! Il est tabou, n’y touchez pas.

J’ai honte. Honte de cette ostentation, de ce chantage au bon cœur, de ces « vedettes » se bousculant pour la photo de famille… Quoi, le budget de la France ne permet pas d’entretenir des chercheurs et de leur donner les moyens de se consacrer à lutter contre ces horreurs ? Il faut vraiment faire appel à la charité publique ? Mais alors, puisque le citoyen attendri donne de bon cœur à la quête, il donnerait aussi bien si on l’y invitait par impôt spécial ? Ah mais, non ! Ah mais, tu ne connais rien à l’âme humaine ! Il faut déclencher un grand mouvement du cœur par l’entremise des médias, avec flonflons, strass, vedettes et bonimenteurs, montrer les petits malades aux grands yeux tristes (pas trop tristes, quand même, on se les veut courageux et souriant crânement), bref, faire monter la mayonnaise, transformer la mendigoterie en championnat national…

Alors, pourquoi, quand il s’agit du budget de l’armée, se contente-t-on de majorer la feuille d’impôts ? Ne trouverait-on pas des vedettes prestigieuses, des généraux attendrissants, pour faire casquer, la larme à l’œil et chantant « La Marseillaise », des millions de « téléthoneurs » enthousiastes afin de « sponsoriser » les Pluton ou des armes encore plus « performantes » ?

Ça me rappelle quelque chose. Ça me rappelle Coluche. Coluche au printemps de 1981. Il s’était présenté aux Présidentielles. Soutenu par « Charlie-Hebdo », il avait atteint, quelques semaines avant l’élection, une cote imprévisible : douze pour cent, si je me souviens bien. Il devenait gênant, ce pitre. Risquait d’être l’arbitre futur. Soudain, les journaux cessèrent de parler de lui. Les audiovisuels lui furent fermés. Il organisa une conférence de presse, à l’Olympia. Tous vinrent. Il leur dit ce qu’il pensait d’eux. En termes extrêmement coluchiens. Résultat : silence total. Coluche laissa tomber. Avant de partir pour la Martinique, il me dit « Je vais me regonfler les accus. Mais tu verras : ils viendront me manger dans la main, ça, je te le jure. » Ils sont venus. À son heure, à quatre pattes, à plat ventre, ils se sont bousculés, ils se sont monté dessus, ils sont venus, bavant d’humilité, lui manger dans la main. Pas que les journalistes et les avantageux de la télé. Les écrivains, les bistrotiers élégants, les grands de la couture, du champagne, de l’industrie… De la politique, surtout ! Les plus grands. Pourquoi ? Parce que Coluche avait monté cette entreprise folle qu’il avait en tête depuis longtemps : les Restos du Cœur.

Je ne dis pas que Coluche n’était qu’un roublard, un cynique, qui n’avait combiné cela que pour se venger, oh, non. Coluche, lui-même ex-pauvre, avait vraiment du cœur, lui, et c’est bien pourquoi une telle idée ne pouvait venir que de lui. Il était sincère jusqu’au bout, et il l’a prouvé. Mais quelle belle revanche, non ?

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