« Il faut les prendrent… »

 

La voici donc, cette réforme de l’orthographe tant annoncée, tant attendue, tant redoutée. Comme il était à prévoir, elle porte sur des broutilles, tombe à pieds joints dans le ridicule, n’aide en rien les cancres et ne fait que compliquer la vie à ceux pour qui l’orthographe ne posait pas problème sans adoucir les affres des autres.

Supprimer les circonflexes (si éloquents !), « simplifier » le pluriel des noms composés au mépris de la logique et semer les traits d’union à la volée, quelle révolution ! Je suis pour ma part bien décidé à n’en tenir pas compte et à persévérer dans mes désormais fautives mais si charmantes et si chères à mon cœur « monstruosités » orthographiques. Correcteur, attention, pas touche !

Je l’ai déjà crié[2], je le crie encore : on gâche le plaisir aux amoureux de la langue, aux fervents de l’écrit, pour que les imbéciles et les paresseux décrochent un bac au rabais, pour que des gens qui ne liront ni n’écriront jamais puissent tant bien que mal ramasser dans le ruisseau ce lambeau de papier qu’on ferait aussi bien de distribuer sans examen.

Pécher par l’orthographe n’est pas pendable. À moi-même, professionnel de l’écrit, il arrive de trébucher sur un mot peu courant. Et alors ? Juge-t-on quelqu’un sur sa façon d’écrire « châtaignier » ? Bien sûr que non, ou alors on n’est qu’un foutu cuistre. Pourtant, je suis heureux que ce mot si familier, si bénin, soit un coquin qui d’avance pouffe de voir l’innocent tomber dans le piège de ce « i » malicieusement introduit là où il n’a, apparemment, que faire.

Ce n’est pas d’orthographe malmenée que la langue se meurt, mais bien de grammaire à vau-l’eau. Or, si l’orthographe dite « d’usage » n’est qu’affaire de mémoire et, aussi, d’une pointe de prescience étymologique, la grammaire, elle, procède de la nature profonde de la langue, elle est son mécanisme et son esprit, la mettre à mal est assassiner la phrase française. Je pardonne les fautes d’orthographe, je ne tolère pas le massacre de la grammaire, ni celui de la syntaxe. Une virgule mal placée fait immédiatement surgir devant moi le mufle de l’imbécile. Je sursaute, je pense « Le con ! » et, à partir de là, tout ce qu’il a pu écrire m’est suspect, il ne peut que penser aussi stupidement qu’il s’exprime. « Ce que l’on conçoit bien s’exprime clairement », et vice versa : si l’on s’exprime comme un cochon, c’est qu’on a du fromage blanc à la place des hémisphères.

Sait-on que des dadais de dix-huit ans écrivent (et écriront toute leur vie) « Il faut les prendrent sur le fait » ? « Parce que, disent-ils, ils sont plusieurs, alors je mets le verbe au pluriel ». C’est pas gravissime, ça ? J’ai lu, à la devanture d’une librairie – d’une librairie, parfaitement, et une grande ! – : « Ne pas touchez aux livres ». J’ai lu dans un magazine : « Les fleurs que vous allez plantez »… J’arrête. Je bous. Il s’agit bien là de passé simple et d’imparfait du subjonctif !… Tiens, à propos de passé simple. Une prof de français a eu le culot d’affirmer doctement à ses élèves : « Le passé simple est un temps archaïque qui ne s’emploie plus. Inutile de l’étudier. » Mais d’où sort-elle, la pompeuse andouille ? Tous – ou presque tous – les livres de narration sont conjugués d’un bout à l’autre au passé simple ! « Ils marchèrent longtemps, enfin ils parvinrent au lieu du sacrifice… etc. » Voulait-elle dire que c’est devenu un temps « littéraire », c’est-à-dire réservé à l’écrit ? Qu’elle le dise, alors, et même qu’elle le déplore, mais qu’elle ne rende pas la littérature tout entière, y compris les rapports de gendarmes, incompréhensible pour les malheureux qui seront passés par ses pattes destructrices.

Coups de sang
titlepage.xhtml
CoupsDeSang_split_000.htm
CoupsDeSang_split_001.htm
CoupsDeSang_split_002.htm
CoupsDeSang_split_003.htm
CoupsDeSang_split_004.htm
CoupsDeSang_split_005.htm
CoupsDeSang_split_006.htm
CoupsDeSang_split_007.htm
CoupsDeSang_split_008.htm
CoupsDeSang_split_009.htm
CoupsDeSang_split_010.htm
CoupsDeSang_split_011.htm
CoupsDeSang_split_012.htm
CoupsDeSang_split_013.htm
CoupsDeSang_split_014.htm
CoupsDeSang_split_015.htm
CoupsDeSang_split_016.htm
CoupsDeSang_split_017.htm
CoupsDeSang_split_018.htm
CoupsDeSang_split_019.htm
CoupsDeSang_split_020.htm
CoupsDeSang_split_021.htm
CoupsDeSang_split_022.htm
CoupsDeSang_split_023.htm
CoupsDeSang_split_024.htm
CoupsDeSang_split_025.htm
CoupsDeSang_split_026.htm
CoupsDeSang_split_027.htm
CoupsDeSang_split_028.htm
CoupsDeSang_split_029.htm
CoupsDeSang_split_030.htm
CoupsDeSang_split_031.htm
CoupsDeSang_split_032.htm
CoupsDeSang_split_033.htm
CoupsDeSang_split_034.htm
CoupsDeSang_split_035.htm
CoupsDeSang_split_036.htm
CoupsDeSang_split_037.htm
CoupsDeSang_split_038.htm
CoupsDeSang_split_039.htm
CoupsDeSang_split_040.htm
CoupsDeSang_split_041.htm
CoupsDeSang_split_042.htm
CoupsDeSang_split_043.htm
CoupsDeSang_split_044.htm
CoupsDeSang_split_045.htm
CoupsDeSang_split_046.htm
CoupsDeSang_split_047.htm
CoupsDeSang_split_048.htm
CoupsDeSang_split_049.htm
CoupsDeSang_split_050.htm
CoupsDeSang_split_051.htm
CoupsDeSang_split_052.htm
CoupsDeSang_split_053.htm
CoupsDeSang_split_054.htm
CoupsDeSang_split_055.htm
CoupsDeSang_split_056.htm
CoupsDeSang_split_057.htm
CoupsDeSang_split_058.htm
CoupsDeSang_split_059.htm
CoupsDeSang_split_060.htm
CoupsDeSang_split_061.htm
CoupsDeSang_split_062.htm
CoupsDeSang_split_063.htm
CoupsDeSang_split_064.htm
CoupsDeSang_split_065.htm
CoupsDeSang_split_066.htm
CoupsDeSang_split_067.htm
CoupsDeSang_split_068.htm
CoupsDeSang_split_069.htm
CoupsDeSang_split_070.htm
CoupsDeSang_split_071.htm
CoupsDeSang_split_072.htm
CoupsDeSang_split_073.htm
CoupsDeSang_split_074.htm