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Le cri du corbeau
« Le corbeau, honteux et
confus
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y
prendrait plus. »
La Fontaine
Quand il arrive au ministère de
l’Intérieur, Sarkozy. L’auteur du Cri de la
gargouille[1] ne
rate jamais une occasion de débiner la politique de son
prédécesseur. Il parle volontiers, en petit comité, de
« poudre aux yeux ». Mais les questions de sécurité ne
sont pas son fort. Il leur préfère, et de loin, les affaires
internationales. Quand vous l’interrogez sur l’actualité policière,
il trouve toujours le moyen d’en venir par des voies détournées,
comme l’Irak et le terrorisme, à la politique étrangère. Tous les
chemins mènent à Bagdad.
Cet homme si épris de lui-même croit
encore, comme le disait Talleyrand de Chateaubriand, qu’il devient
sourd quand il n’entend plus parler de lui. Il garde toujours aussi
quelque chose de baroque et d’exalté. Mais enfin, il s’applique à
démonter la machine laissée par son successeur tout en essayant,
bien sûr, de lui rafler son fonds de commerce. À la manœuvre, il
fait le poids et apparaît vite comme l’une des personnalités clés
de l’État-Chirac. S’il n’a pas, comme Pierre Mongin, y est sans
doute pour quelque chose. Un préfet de haute volée qui a fait ses
armes à Matignon, au temps d’Édouard Balladur. Les sarkozystes le
surnomment « le syndrome de Stockholm », du nom de
l’affection qui, dans certains cas, amènent les otages à tomber
amoureux de leurs ravisseurs...
C’est dans ce contexte qu’éclate
l’affaire Clearstream. Au printemps 2004, le juge Renaud Van
Ruymbeke reçoit une lettre anonyme. Encore une. Il en commence la
lecture par acquit de conscience quand il comprend qu’elle dénonce,
numéros de comptes bancaires à la clé, un gigantesque système de
blanchiment d’argent sale. Tout tourne autour de Clearstream, la
banque des banques, dont le siège est au Luxembourg. Une chambre de
compensation qui, au lieu de transférer physiquement l’argent entre
les banques, ne règle que les soldes des échanges. Résultat :
on ne peut pas suivre le cheminement des sommes. Anonymat garanti.
Sûrs qu’on ne trouvera jamais la trace de leurs versements
illicites, des particuliers se sont mis ainsi à utiliser
Clearstream comme une « blanchisseuse ».
La lettre anonyme accuse plusieurs
personnalités du monde des affaires d’avoir perçu, via Clearstream,
des fonds occultes, liés notamment à la vente par Thomson CSF,
en 1991, de six frégates à Taïwan, dossier qu’ont eu en
charge, ce qui tombe à pic, le juge Philippe Delmas, vice-président
d’Airbus. Le 7 mai 2004 il est mis en garde à vue mais,
après maintes vérifications, aucun élément n’est retenu contre
lui. Pas la moindre trace de commission illicite ni de compte
bancaire au Luxembourg.
Au cours de son audition, Forgeard fut
l’un de ses proches collaborateurs. L’Élysée a ainsi déstabilisé ce
fleuron de l’industrie française : dans le monde impitoyable
de la défense et de l’aéronautique, tous les coups sont permis,
surtout les plus tordus.
Quand les juges reçoivent la deuxième
lettre anonyme, leurs derniers doutes sont levés, il s’agit bien
d’une grossière manipulation. Tout le bottin des affaires, de la
politique et de la presse est cité et, bien sûr, Nicolas Sarkozy de
Nagy-Bocsa Paul, Paul, Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa.
Si Sarkozy, c’est fini. Si les journaux
font leur travail, et s’ils ont des couilles, il ne survivra pas à
cette affaire-là. » Dans la foulée, il commande un rapport à
la Direction de la surveillance du territoire (DST).
Qu’importe si tout ça sent le montage à
plein nez : calomniez, calomniez, il en restera toujours
quelque chose. D’autant qu’un démenti équivaut souvent, dans ce
genre d’affaires, à une confirmation. Las ! la machination ne
prend pas. Elle a été trop bâclée. Pour un peu, elle se
retournerait même contre Villepin.
Une note « Confidentiel
Défense » du 23 octobre 2004, signée du grand patron
de la DST, Pierre de Bousquet, et adressée au ministre, pose
quelques questions troublantes, à propos du
« corbeau » : « Aurait-il agi seul ou avec son
entourage ? Avec le soutien technique d’une équipe à sa
main ? Aurait-il pu être instrumentalisé ? Par
qui ? »
Dans d’autres notes « Confidentiel
Défense », la DST mentionne des rumeurs mettant en cause
Philippe Delmas. Et inversement.
C’est aussi un grand ami de Dominique
de Villepin, place Beauvau.
Détail troublant. À condition, bien sûr,
que Dominique de Villepin. Le 15 octobre 2004, les
deux hommes auront une explication houleuse, place Beauvau.
Depuis, l’enquête n’avance guère. La DST
rase les murs, tandis que le juge chargé d’identifier le ou les
corbeaux tente, seul, de dénouer cet imbroglio. N’empêche que
l’affaire Clearstream n’a pas fini de faire des vagues.
C’est elle qui permet de comprendre, en
partie, le retour inopiné de Nicolas Sarkozy au ministère de
l’Intérieur, un peu plus tard, après le four du référendum sur
l’Europe. N’a-t-il pas déclaré, sibyllin, qu’il avait accepté de
retourner place Beauvau afin de déjouer d’« éventuels
complots » ?
C’est elle encore qui nourrit la haine
froide ou brûlante, c’est selon, qui dresse l’un contre l’autre
Dominique de Villepin. Ces deux-là sont désormais condamnés à
se battre jusqu’au dernier sang. Ils ne se rateront pas. Les
sourires de façade n’y changeront rien.
Une fois, pendant l’été 2005,
Jacques Chirac dira à Nicolas Sarkozy : « Allez, arrête
de me parler de cette affaire Clearstream. Il faut penser à
l’intérêt général.
— Quel intérêt général ?
— C’est une histoire sans importance. Tu
perds ton temps. »
Alors, Sarkozy : « Ne me
parlez pas comme ça. Un jour, je finirai par retrouver le salopard
qui a monté cette affaire et il finira sur un crochet de
boucher. »