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À gauche toute
« Il y a peu à choisir entre des pommes pourries. »
Shakespeare
Le 15 juin 1999, deux jours après la déroute des européennes, un homme fait sensation lors de la réunion du groupe RPR du Sénat. Une armoire à glace (110 kg pour 1,93 mètre) qui semble sorti des années soixante, avec son brushing nickel et son blazer bleu à boutons dorés. On dirait Elvis Presley, mais sans banane et avec un embonpoint de notable.
C’est Jean-Paul Delevoye, sénateur du Pas-de-Calais et maire de Bapaume, capitale de l’endive. Président de l’Association des maires de France (AMF) qui regroupe 34 000 adhérents sur les 36 600 communes du pays, il est réputé pour son bon sens et son esprit consensuel. Ce jour-là, pourtant, devant ses collègues du Sénat, il n’arrive pas à réprimer sa colère.
Si le RPR est tombé si bas, tonne-t-il, c’est à cause de « l’opportunisme » des « apparatchiks » du mouvement et de leur « libéralisme fou ». Il est urgent, ajoute-t-il, de réconcilier le parti avec le peuple, et cela passe par un discours moins droitier et moins élitiste : Jean-Paul Delevoye est convaincu que la thèse de la « fracture sociale » reste toujours actuelle et qu’il faut la remettre en avant.
Dans l’assistance, il y a deux sénateurs qui sont aussi conseillers de l’Élysée : Jean-Paul Delevoye. Il connaît mal le sénateur du Pas-de-Calais mais il a décidé d’en faire le prochain président du RPR. À ses yeux, cet homme cumule tous les avantages. Il est neuf, compétent et social. Politiquement, le chef de l’État se sent, de surcroît, totalement en phase avec lui. Il ne reste plus qu’à l’imposer au mouvement.
Ce n’est pas joué. Il faudrait que Hervé Gaymard qui, tout de suite, ont pris parti pour lui. Brut de décoffrage, il tient donc devant les militants, et sans précaution, le discours social qui plaît tant à Jacques Chirac.
C’est l’erreur. Comme l’a noté Jean-Paul Delevoye, lui, se présente avec un programme à gauche toute, et s’en va répétant dans toutes les fédérations du parti : « Le mouvement gaulliste doit retrouver ses assises populaires et humanistes. »
Ce n’est pas un hasard si Jean-Paul Delevoye est si apprécié des socialistes du Pas-de-Calais. Ou bien s’il est réélu, chaque fois, au premier tour à la présidence de l’Association des maires de France. Cet ancien grainetier est fondamentalement social-démocrate.
À l’heure où les socialistes gouvernent le pays, c’est évidemment un handicap. Claude, surveillent comme le lait sur le feu. Or, les cicatrices de la dissolution ne se sont pas encore toutes refermées. À l’égard du chef de l’État, les sentiments des militants sont ambivalents. C’est le père putatif et le chef naturel du mouvement. Mais ils s’en méfient. Ils pensent qu’il faut le protéger contre ses lubies et ses conseillers fantasques.
C’est pourquoi ils se tournent tout naturellement vers François Fillon) et sarkozyste (Patrick Devedjian).
Le chef de l’État doit-il considérer ce résultat comme un camouflet ? Sans doute est-ce pire que cela. Un constat de divorce pour incompatibilité d’humeur et divergences politiques. Le RPR entend désormais vivre sa propre vie pour servir Chirac et l’aider, si besoin, contre lui-même.
Même si Jacques Chirac reste son candidat pour 2002, le mouvement a décidé de couper le cordon avec lui, à en juger par le score sans appel qu’obtient Nicolas Sarkozy.
Le président de la République accepte d’autant plus volontiers sa défaite que Michèle Alliot-Marie s’est tout de suite rangée sous sa bannière. Sitôt élue, elle a en effet déclaré : « Ensemble, dans le cadre d’une opposition unie, avec et pour Jacques Chirac, nous préparerons les prochaines échéances. »
Chirac peut faire contre mauvaise fortune bon cœur. S’il n’a pu imprimer sa marque sur la ligne du parti, il a au moins la chance d’avoir désormais un petit soldat à sa tête. Une dame de fer-blanc, facilement ployable, qu’il ne faudra certes pas quitter des yeux : si elle fut jadis sa « créature », elle a en effet joué un jeu trouble avec Balladur, lors de la dernière élection présidentielle. Mais elle a au moins le mérite de n’avoir aucune ambition élyséenne. Enfin, pour le moment.
Il peut donc préparer tranquillement sa prochaine campagne. Il reçoit les élus par-ci, grappille des idées par-là. Il s’est aussi mis en quête d’un Premier ministre, pour le cas où il serait élu. À en croire les oracles de l’Élysée, il l’aurait même trouvé : Dominique de Villepin qui ne cesse de chanter ses louanges.
Sarkozy frétille. Il n’oublie pas que, le 14 septembre 1999, après qu’il se fut retiré de la course à la présidence du RPR, le chef de l’État l’a accueilli, dans son bureau de l’Élysée, en lui disant :
« Je salue le nouveau Nicolas. Franchement, tu m’as épaté. »
Le député-maire de Neuilly a bu ces paroles. Il les tourne et les retourne dans sa tête : Matignon n’est plus un rêve impossible. Mais une petite voix en lui dit que rien n’est joué et qu’il lui faut se méfier. Il sait que Jacques Chirac a toujours suivi à la lettre l’adage de Louis XI : « En politique, il faut donner ce qu’on n’a pas et promettre ce qu’on ne peut donner. »
Mais s’il le pouvait, en l’espèce, Chirac le voudrait-il seulement ?
La Tragédie du Président
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