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La mort mystérieuse de « Monsieur Gendre »
« En mariage souvent, l’amour passe et le mari reste. »
Alfred Capus
Il avait la mort en lui. C’est pourquoi le gendre de Chirac ne tenait pas en place. On aurait dit qu’il était monté sur des ressorts. Il ne marchait pas, il sautait, mais avec tant de gaucherie qu’on avait peur qu’il ne tombât.
Tout était démesure, chez Philippe Habert. Le rire, souvent pantagruélique. Les colères, toujours homériques et ne visant jamais que ses supérieurs. La force de travail, enfin, qu’il déployait surtout la nuit, à l’heure des chouettes, en grillant des cigarettes à la chaîne, avant de se coucher au petit jour.
C’était le genre de personnage dont on se dit, en apprenant la mort : « Cela devait arriver. » Il allait toujours trop vite et trop loin. Il était dévoré par des forces qu’il ne contrôlait pas. Il était au demeurant convaincu lui-même qu’il mourrait avant quarante ans et le répétait tout le temps.
Le 5 avril 1993, son corps a été retrouvé sans vie à son domicile du 3e arrondissement, près de la place des Vosges, à Paris. Dans un premier temps, l’Agence France Presse a parlé, en annonçant la nouvelle, de suicide par balle. En fait, il n’y avait ni balle ni arme dans son appartement. Juste des boîtes de médicaments, tranquillisants, remontants ou somnifères, dont il était un consommateur compulsif.
Claude Chirac qu’il a épousée quelques mois plus tôt.
Mais il n’a pas laissé de lettre pour expliquer son geste. S’il s’était suicidé, il n’y aurait pas manqué, ce fils unique très attaché à sa mère, Jacqueline, une secrétaire administrative qui l’a élevé seule. L’autopsie décidée en accord avec Jacques et Bernadette Chirac, accourus sur les lieux, conclut à un « empoisonnement du sang ». Il a mélangé trop d’excitants et de narcotiques. Il a de surcroît dépassé les doses prescrites.
Une habitude chez lui. Philippe Habert engloutit au moins deux litres de café par jour. Il fume entre trois et quatre paquets de cigarettes quotidiens. Il roule toujours à fond la caisse sur son scooter. Il parle haut et fort, clamant sans crainte ses convictions, à la manière de Cyrano, son personnage préféré, qui disait :
« Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Sonner les vérités comme des éperons. »
Il est hors norme. Il est même inconvenant. Ignorant les bonnes manières, il est du genre à mettre le feu aux rideaux avec sa cigarette, écraser son mégot sur la moquette, renverser les tables ou faire la sieste, les chaussures sur le canapé. Jacques Chirac trouve ça farce. Pas Bernadette. Claude s’est vite lassée.


Pierre Charon, le conseiller en communication du maire de Paris. Il lui semblait judicieux que son patron entretienne des relations suivies avec celui qui apparaissait comme l’étoile montante de la politologie. C’est ainsi que Claude a fait la connaissance du volcanique directeur des études politiques au Figaro.
Coup de foudre. Le couple paraît bien assorti. La trentaine, les mêmes centres d’intérêt. Ce ne sont pas des poètes. Pour le mariage, ils ont choisi leurs témoins parmi leurs relations de travail. Nicolas Sarkozy. Cette accordée et son futur, ce sont les mêmes, finalement, et ils se sont reconnus, faisant leur le précepte de l’Ecclésiaste : « Toute chair s’unit selon son espèce. »
Quelque chose chiffonne néanmoins Jacques Chirac quand il observe Philippe Habert. Son désir incroyable d’exister, sa boulimie de succès, son ego expansionniste, souvent au bord de l’hystérie. Certes, il aime tout le reste chez lui. Les provocations. Les enthousiasmes baroques. Les coups de sang, aussi imprévisibles qu’explosifs. Mais une semaine avant le mariage, le père de la promise ne peut s’empêcher de demander à l’auteur, avec une inquiétude dans les yeux[1] :
« Vous qui le connaissez bien, ce garçon a-t-il du cœur ?
— Il est très ambitieux. Il arrivera sûrement.
— Ce n’est pas ce que je vous demande. A-t-il du cœur ?
— Il est très intelligent et très sympathique.
— Répondez-moi : a-t-il du cœur ?
— Je ne sais pas. Mais le cœur ne se porte pas en bandoulière. »
Le 12 septembre 1992, après le mariage civil, à Paris, les Chirac ont invité tout le gratin dans les salons de l’Hôtel de Ville. N’étaient les quelques personnalités politiques qui participent au déjeuner, on se croirait dans un gala de bienfaisance, tant il y a d’argent sous les lambris. Des Vernes aux Bettencourt, tous les riches donateurs de la droite sont venus, les bras chargés de cadeaux.
Le 3 octobre, après le mariage religieux, à Sarran, en Corrèze, les mêmes se retrouvent, avec quelques autres, au château de Bity où les Chirac ont organisé un dîner royal. Il y a là toute la bande à Kersauzon, le navigateur solitaire, et on rigole bien, le maire de Paris au premier chef, qui entonne des chants russes pour la plus grande joie des convives.
C’est là que Philippe Habert fait son premier esclandre public. Il proteste avec véhémence contre la présence de l’ambassadeur du Maroc et refuse le cadeau du roi Hassan II, un tapis, à cause des prisonniers politiques.
Tel est Habert : un jeune homme enfiévré et insomniaque, d’une indépendance d’esprit sans limites. Le maire de Paris l’a surnommé le « Pierreux » en hommage affectueux à son tranchant et à sa rugosité. Qui s’y frotte s’y pique ou s’y coupe.
Très vite, Claude ne supporte plus d’avoir à se frotter à lui. Au retour de leur voyage de noces à Venise, ils décident déjà de ne pas vivre ensemble. Il retournera dans son appartement du Marais et elle, chez ses parents. Pas vraiment une rupture, plutôt une prise de distance que rythment quelques retrouvailles, de temps en temps. C’est trop tôt pour divorcer. Ils se donnent encore une chance.
S’il faut marquer d’une date leur rupture, c’est le 4 janvier 1993, lorsque Philippe Habert déclare, sur France 3, qu’Édouard Balladur, l’alter ego de son beau-père, souffre de « non-représentativité sociale » et incarne la « République bourgeoise » : sa nomination à Matignon serait, à ses yeux, « la première victoire de la gauche depuis des années ».
Claude Chirac est consternée. Tout le monde a compris qu’il y a du divorce dans l’air quand elle répond à son mari, le 24 février, dans Globe-Hebdo. Après avoir dit son soutien à Édouard Balladur (« Il ne portera jamais un coup dur à Chirac »), elle condamne avec une rare violence les propos de son mari : « Je ne pense pas que Balladur ait pensé un instant que cela puisse être prémédité. Pour ma part, j’ai trouvé cela déplacé et immature. »
La procédure est en marche, rien ne l’arrêtera. Leur mariage est à l’image des cadeaux, venus de France et du monde entier, que Michel Roussin, le directeur de cabinet du maire, a fait entreposer dans un salon de l’Hôtel de Ville, réservé à cet effet. Ils n’ont jamais été ouverts. Il faudra attendre la séparation, prélude au divorce, pour que, cinq mois plus tard, leurs avocats respectifs commencent à les partager entre eux.
Pauvre « Monsieur Gendre ». Il est dans le déni et tente de faire croire à la plupart de ses amis qu’il continue à vivre avec Claude. Ils l’écoutent poliment, mais ils savent. Tout le monde sait, à Paris, que leur mariage, à peine consommé, est déjà en voie de dissolution.
Habert devient de plus en plus pathétique alors que les échéances approchent. Jamais une seule allusion à la répudiation de Claude. Il parle même de leurs prochaines vacances. Pour un peu, il évoquerait les enfants à venir.
On peut imaginer qu’il se soit suicidé pour n’avoir pas à affronter l’atroce vérité du divorce annoncé. À moins qu’il ne s’agisse d’une sorte d’acte manqué. Mais rien ne serait plus vain que de chercher à percer les derniers secrets d’une autopsie qui a établi qu’il était mort dans son sommeil, vingt-quatre heures avant la découverte de son corps, après avoir absorbé une surdose de comprimés.
Veuve après huit mois de mariage, Claude se sent coupable, affreusement coupable, derrière les lunettes noires qu’elle ne quitte plus. C’est peut-être ce qui explique l’incroyable énergie qu’elle a mise au service de son père dont le destin semble flageoler, depuis l’accession de Balladur à Matignon. Ils formeront désormais un couple infernal que rien ni personne ne pourra briser, pas même Bernadette qui les surnommera longtemps, d’une voix sifflante : « Les Chirac... »
1-
Entretien avec l’auteur, le 5 septembre 1992.
La Tragédie du Président
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