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Pour quelques pelletées de terre
« Rien ne s’arrange mais tout se tasse. »
Marcel Achard
Ce n’est pas un échec, c’est un tsunami. Aux élections régionales du 24 mars 2004, la droite perd toutes les régions sauf une : l’Alsace. La vague socialiste est telle qu’elle emporte même des bastions comme le Poitou-Charentes, présidé par François Fillon.
Un « 21 avril à l’envers », diagnostique Catherine Pégard appellent la « malédiction des deux ans ». Aux affaires, Jacques Chirac n’a jamais tenu plus de deux ans : 1974-1976, 1986-1988, 1995-1997 et, maintenant, 2002-2004.
À cette débandade, on peut donner, outre la « malédiction des deux ans », plusieurs explications : la mauvaise gestion de la canicule d’août 2003 qui a fait 15 000 morts, la radiation de 200 000 chômeurs des listes de l’Unedic ou encore les mouvements de protestation des chercheurs et des intermittents du spectacle. Mais avant même le fiasco, Chirac en subodorait déjà la raison : la France se ronge les sangs. Il avait donc demandé aux siens de rayer de leurs discours le mot si effrayant de « réforme ». Ils n’étaient autorisés qu’à parler de « changement » ou de « modernisation », et encore, pas trop, afin de ne pas terrifier le bon peuple.
Total : une débâcle historique, comme si les Français avaient eu peur de ce que préparait la main droite pendant que la main gauche les caressait dans le sens du poil.
Que faire ? Le premier réflexe de Chirac est de trouver des boucs émissaires, comme Juppé. Ça lui fend peut-être le cœur, mais à la guerre comme à la guerre. Il doit inventer quelqu’un d’autre.
Quand les chevaux sont trop fourbus ou juste bons pour l’équarrissage, il faut en changer et en seller des frais. Depuis que la justice a mis Sarkozy.
Réflexe de vieux monarque. Alors que l’ennemi est aux portes et que la terre tremble sous les remparts, il ne songe toujours qu’à se débarrasser de son rival. C’est même son idée fixe. La grille de lecture d’une grande partie de ses décisions.
Pour mener la guerre contre Michèle Alliot-Marie, mais non, l’un est trop tendre et l’autre, trop raide. Il ne reste donc que l’ébouriffant ministre des Affaires étrangères.
Va pour Sarkozy le ministère de l’Intérieur qui lui a trop bien réussi pour le refiler à l’ancien secrétaire général de l’Élysée. Il connaît ses défauts et le prévient qu’il sera, lui, en stage d’apprentissage. « Écoutez les gens, lui dit-il en substance, voyez les parlementaires, partez à la rencontre de la France. Préparez-vous. »
Il y a un problème. Le 29 mars, au lendemain du fiasco des régionales, quand le chef de l’État propose le ministère des Finances à Sarkozy, ce dernier se rebiffe. Il veut rester place Beauvau. En fin d’après-midi, lors d’un second coup de téléphone, Chirac insiste et argumente : « Tu ne peux pas refuser de t’occuper de ce qui est important pour les Français. Tu as remis de l’ordre à l’Intérieur. Tu dois maintenant en mettre aux Finances. »
Juppé va abandonner la présidence. Sa stratégie pourrait être contrariée s’il quittait dès maintenant le gouvernement, engageant ainsi les hostilités et ouvrant un processus qu’il ne maîtriserait pas. Donc, il prendra Bercy.
Quelques mois avant la déroute des régionales, le chef de l’État lui avait demandé, sur un ton détaché mais avec un regard mauvais : « Est-il vrai que tu veux prendre la présidence de l’UMP ?
— Ça ne m’intéresse pas follement.
— Ça tombe bien, figure-toi. Tu t’es fait une très bonne image, place Beauvau.
— Je n’irai que si on m’emmerde, dit alors Sarkozy.
— Qu’entends-tu par là ?
— Eh bien, tout ce qu’on est en train de me faire en ce moment. »
Un mois avant les régionales, nouveau dialogue sur le même thème. « Je ne veux pas d’un accord entreSarkozy. Si tu es son numéro deux, tu le boufferas.
— En ce cas, je serai numéro un. »
Après quoi, faussement coulant, le chef de l’État entreprend d’amadouer Sarkozy : « Ne t’en fais pas. Si tu es le meilleur en 2007, je te soutiendrai.
— Si je ne suis pas le meilleur, je ne comprends pas pourquoi vous ne me soutiendriez pas. Ce qui aurait été gentil, c’eût été de me dire : “Je t’aiderai à être le meilleur.” »
Tel est le ton. Ces deux-là ne sont pas prêts à se réconcilier. En partant à la conquête de l’UMP et de son magot financier, Giscard naguère à son égard.
« Ton pire ennemi, c’est toi-même, dira-t-il à Sarkozy.
— Être aussi mauvais que vous le pensez et faire cette carrière, franchement, c’est inespéré.
— Ne sois pas insolent.
— Ce n’est pas de l’insolence, c’est de la franchise. »
Il y a, c’est vrai, quelque chose d’effronté chez Sarkozy. Notamment quand il laisse tomber, pour clore une conversation avec Chirac : « Finalement, c’est moi, le chiraquien. Je fais ce que vous avez fait toute votre vie : y penser tout le temps... »
La Tragédie du Président
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