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Le trampoline de Sarkozy
« Hercule ne s’est pas fait en une seule nuit. »
Ménandre
Le suivant est un avatar de Jacques Chirac. En plus jeune et avec moins de complexes. Boulimique, increvable, toujours pressé, la voix haletante, Nicolas Sarkozy est aussi un homo politicus. Un professionnel de la politique, comme il aime le dire. « Mon problème, s’amuse-t-il, c’est que j’ai une tête de candidat à tout. » Il sait y faire, avec les militants, les électeurs ou les journalistes. Il a la bise et le tutoiement faciles. C’est aussi le roi de la tape dans le dos. Avec lui, de surcroît, tout le monde a droit au même traitement, fait de brutalité gouailleuse et affectueuse, le patron, le cul-terreux ou le moins que rien. Il ne se la joue pas.
Secrétaire général du RPR depuis 1998, Philippe Seguin. Né en 1955, il a quarante-quatre ans, toutes ses dents, un petit paquet de fidèles et toujours de grandes espérances. Il ne lui manque que la longue patience qui fait les grands hommes. Pour preuve, il a le même tic que Jacques Chirac, naguère : dans la position assise, il tape sans arrêt du pied. Il a toutefois appris à en rabattre et se compare volontiers, avec une autodérision toute chiraquienne, à « ces chandails qui rétrécissent au premier passage en machine à laver ».
Bien sûr, il feint d’être marri de la démission de Seguin qui n’avait pas cru bon de l’en informer. « Il me laisse tout sur les bras, soupire-t-il, le parti, la liste européenne et même une émission sur TF1. Dire que je devais partir à La Baule avec ma femme et mes enfants ! » Mais il sait qu’il a changé, enfin, de catégorie. Il est entré dans la cour des grands. Il ne lui reste plus qu’à amadouer Chirac.
Vaste programme. Deux ans plus tôt, après la bérézina de la dissolution, le chef de l’État avait refusé que Sarkozy n’était pas parvenu à remonter la pente auprès de Chirac qui a souvent dit à propos des balladuriens : « Ils ont le gène de la trahison. »
Le député-maire de Neuilly semble prêt à tout pour arriver à ses fins. Son destin est en marche, rien ne l’arrêtera. Un jour, Paul Sarközy de Nagy-Bocsa, aristocrate hongrois émigré, publicitaire reconnu et grand séducteur devant l’Éternel, a dit à ses trois fils : « Jamais, dans ce pays, un Sarközy ne sera président de la République. Pour cela, il faut aller aux États-Unis. » Nicolas Sarkozy a décidé de faire mentir son père et, contrairement à d’autres, ne cache pas ses intentions derrière ses airs entendus. Il ne pense même qu’à ça et s’en vante crânement.
Ce n’est pas une raison suffisante pour expliquer la sourde méfiance qu’il inspire à Jacques Chirac et qui tourne, parfois, à la haine froide. En fait, même s’il s’en défend, le chef de l’État le soupçonne toujours d’avoir lancé, quand il était ministre du Budget d’Édouard Balladur, toutes les affaires qui lui empoisonnent la vie, et notamment celle des HLM de la région parisienne, quand son parti rançonnait les entreprises de travaux publics. « Je n’ai pas de preuves, insiste Chirac, et je ne crois pas aux accusations sans preuves. » Soit. Mais on ne voit pas quelle autre cause pourrait motiver son anti-sarkozysme total et frénétique.
Bien sûr, Sarkozy dément : « C’est un mauvais procès. Les amis de Chirac ont eu tout le loisir de faire parler les gens. Ils n’ont rien trouvé. S’il y avait eu des preuves, croyez-moi, elles seraient sorties. » Une pause, puis : « Le président et moi, on n’a jamais parlé de tout ça. Parce qu’il sait que c’est faux[1]. »
Pour rétablir la confiance avec Chirac, Sarkozy perd son temps quand, par exemple, il passe serrer des mains au dîner de l’Association des amis de Jacques Chirac qui, le 7 mai 1999, célèbre le quatrième anniversaire de l’accession de son champion à la présidence. « En 1995, blague-t-il, j’étais balladurien. C’est pour ça que, chaque 7 mai, je suis comme le padre Pio : “Les stigmates, dans mes mains, se remettent à saigner.” »
La stratégie de Pasqua. Rude tâche. « On a été si gentils avec moi, dit-il, le 8 juin, en meeting à Carpentras, que non seulement on m’a laissé la place, mais on a veillé à ce qu’il n’y ait surtout personne à mes côtés. » Enfilant les réunions publiques et les débats télévisés, il se prononce pour un service minimum dans les transports, la suppression du revenu minimum d’insertion (RMI) en cas de refus d’un emploi ou d’une formation, la baisse de la TVA, etc.
Sa campagne est à droite toute et il flingue sans sommation, comme en attestent ces propos rassemblés par Carole Barjon dans Le Nouvel Observateur[2]. Sur les 35 heures : « Pourquoi pas trente, ou vingt-cinq, ou dix, ou deux ? Deux, ce serait parfait. Mais à une condition, c’est qu’elles soient facultatives. » Sur l’insécurité : « La différence entre la gauche et la droite, c’est que quand un autobus est attaqué, la gauche organise un colloque avec trois philosophes, quatre sociologues et deux journalistes où elle pose la question : pourquoi l’autobus ? » Sur la droite : « On a compris une chose : quand on fait la politique de ses adversaires, on perd ses électeurs et on ne gagne pas un seul de ses adversaires. »
Il se sera démené pour rien, ou pas grand-chose. Au scrutin du 13 juin 1999, la liste Bayrou, il sauve l’honneur de l’UDF avec 9,25 % des voix.
C’est un fiasco. C’est aussi le plus mauvais score de l’histoire du parti gaulliste. « J’assume la responsabilité de cet échec », déclare Sarkozy qui parle aussi d’« électrochoc » et dit redouter, dans la foulée, la « dispersion complète » de la droite. Le lendemain, après s’être entretenu avec Chirac, il annonce qu’il abandonne la présidence par intérim du RPR et qu’« en toute hypothèse », il ne sera pas candidat à sa succession.
Même s’il se sent bien seul, Sarkozy tient le coup. Il a même trouvé dans cette déroute des raisons d’espérer : « Ceux qui ne peuvent supporter d’être haï ne doivent pas faire de la politique. Il n’y a pas de destin sans haine. » De ce point de vue, il est servi. Encore que, contrairement à ce qu’il pourrait craindre, Chirac n’est pas dans le camp de ceux qui sonnent l’hallali contre lui. Bien au contraire, il cherche à calmer le jeu.
Le président répète à la ronde ce qu’il a dit à Sarkozy répondait par avance : « Ce que la gauche britannique met en pratique, il serait temps que la droite française ait le courage de le proposer. »
Tout le débat Chirac-Nicolas » se contente de rester secrétaire général derrière un nouveau président moins libéral que lui, « ce qui ne sera pas difficile à trouver ».
Mais Sarkozy ne l’entend pas de cette oreille. Sitôt tombé, il remonte sur son cheval. Question de réflexe. « Il y en a pas mal qui vont attraper un torticolis à force de me voir rebondir sur le trampoline », rigole-t-il. Après une déprime de quelques jours, le député-maire de Neuilly décide de briguer, contrairement à son engagement, la présidence du RPR.
Bien entendu, il n’est pas question pour lui d’entrer en conflit avec Jacques Chirac. Son jeu, il l’a clairement expliqué au journaliste du Monde, Jean-Louis Saux : « Se rapprocher, étouffer l’autre et s’installer, voilà ma technique. Mais ça, vous ne le mettez pas. On est off, non[3] ? »
La dernière semaine de juillet, il prend rendez-vous avec Chirac et lui annonce qu’il a passé un pacte avec François Fillon au secrétariat général et confiera aux séguinistes la direction de la revue du mouvement. « On verra ça après les vacances », dit le président, en s’efforçant de garder son sang-froid.
C’est tout vu. Retour de l’île Maurice, Jacques Chirac presse Nicolas Sarkozy de ne pas se présenter. Le 13 septembre, il remet ça, pour la quatrième fois en quinze jours, en jouant la flatterie et la séduction : « Tu es un des seuls sur lesquels je puisse compter. Ne t’abîme pas dans une histoire de parti. J’ai d’autres projets pour toi. »
C’est ce jour-là que Sarkozy commence à rêver de Matignon qui, désormais, semble à sa portée. De plus, Chirac lui parle d’égal à égal, comme s’il avait affaire à un futur présidentiable.
« Ni toi ni moi, poursuit le président, ne sommes intéressés par le parti. Nous, c’est la France qui nous concerne, n’est-ce pas ? Tu dois te préserver, Nicolas. »
Est-ce, enfin, le signe qu’il attendait ? Sarkozy ne sait pas trop comment prendre le conseil présidentiel qui, malgré tout, sonne doux à ses oreilles. Même s’il en est bien incapable, il choisira, à tout hasard, de se « préserver ».
1-
Entretien avec l’auteur, le 4 octobre 2005.
2-
Le 3 juin 1999.
3-
Article de Jean-Louis Saux, « Sarkozy, off the record », le 1er juillet 1999.
La Tragédie du Président
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