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Le saucisson de Seguin
« Si vous voulez que la vie vous sourie,
apportez-lui d’abord votre bonne humeur. »
Spinoza
La droite peut-elle suppléer ce président altier qui répugne à descendre de ses limbes ? Apparemment pas. Elle a trop à faire, encalminée qu’elle est dans l’entrelacs de ses querelles intestines.
« La droite, c’est la haine », a dit un jour Simone Veil et elle en sait quelque chose. Soit. Mais la gauche aussi. C’est l’ambition pour les places qui dressent les politiques les uns contre les autres, avec un objectif tout bête que les plus doués excellent à habiller de considérations idéologiques : « Donne-moi ta place et dégage. »
Quand aucune autorité n’est parvenue à imposer sa loi dessus, le moindre parti politique se transforme en chaudron où bouillonnent les appétits, les vanités et les rancunes. Inutile de mettre un couvercle. Le miroton en fusion débordera toujours en attendant le chef.
C’est ce qui arrive à la droite, ces temps-ci. « Ces gens-là sont pathétiques, note Chirac, depuis son Aventin élyséen. Des lilliputiens, des fourmis, des morpions de l’ambition. Ils se tirent tous dessus à vue sans comprendre que l’opinion se fout et se contrefout de savoir qui va gagner, si seulement il en reste un vivant après la fusillade générale[1]. »
Après la dissolution, c’est Seguin avec un mélange de compassion, d’agacement et d’amusement. « S’il y a un métier pour lequel il n’est pas fait, celui-là, c’est chef de parti, ironise encore Chirac. Il est tellement solitaire qu’il sera incapable de se faire adopter par les militants ou par les élus. Il restera toujours un baryton sans orchestre. »
C’est ainsi que Jean-Louis Debré à se retirer de la compétition pour la présidence du groupe. Ce dernier étant l’homme lige du chef de l’État, plaide-t-il, son échec serait interprété comme un camouflet pour lui. L’effet serait désastreux pour tout le monde.
« Il faut vraiment que tu l’empêches de faire cette bêtise, insiste Seguin. Il ne fera que dix-huit voix, le pauvre, et encore...
— Tu rigoles ? fait Chirac. Il aura cent voix. »
À l’arrivée, Jean-Louis Debré l’emportera haut la main.


Quand il prend la présidence du RPR, le 7 juillet 1997, sur les décombres laissés par la dissolution, Madelin, ils ne sauraient constituer une menace. En somme, il a le champ libre.
Philippe Seguin ne sait pas déléguer, mobiliser ou entraîner.
Tout est hypertrophié chez lui. Le coffre. Le caractère. L’ego. Cet esprit chagrin a une si haute idée de lui-même qu’il a fini par la perdre de vue. Au lieu de chercher à ménager Chirac, il a tout de suite voulu rompre avec lui. Les militants l’ont rappelé à l’ordre. Le 31 janvier 1998, aux assises du RPR qui devaient tout chambouler, le projet et même le sigle à trois lettres, le nom du président a été ovationné pendant douze minutes.
Seguin n’a pas compris le message. L’imperator entend incarner, seul, le RPR et même l’union de l’opposition.
À la fin, il se retrouvera tout seul.
Il est vrai que l’Élysée ne le ménage pas, qui fait régulièrement donner les chiraquiens contre lui. Pour le neutraliser, Philippe Seguin. Ce n’est pas un retour en grâce. Juste une alliance de circonstance. Elle en dit long sur l’exaspération du président qui ne supporte pas, notamment, les dérives nationalistes de son mouvement.
L’opposition Chirac-Alain Juppé, en avril 1998.
Étrange attelage. Les deux hommes se respectent et se méprisent en même temps. Chirac est subjugué par l’éloquence et les tripes de Seguin est fasciné par l’habileté et la persévérance de Chirac mais il a la conviction qu’il n’est pas au niveau. Derrière son dos, il l’appelle « le grand con ». Il fulmine contre sa « mollesse » face aux socialistes, répète qu’il a fait son temps et refuse, certains jours, de le prendre au téléphone.
Chirac entend le dégager de la présidence du RPR avant la campagne de 2002. S’il n’y arrive pas, il est prêt à toutes les extrémités. Leurs tête-à-tête sont parfois si tendus qu’il arrive au chef de l’État de proférer des menaces de ce genre : « Si tu continues comme ça, je vais être obligé de faire un parti du président. »
Entre Chirac et Madelin ont fait bloc contre la candidate UDF que soutenaient les socialistes.
Un vaudeville ridicule, qui illustre bien l’état lamentable de la droite. La présidence du conseil régional devait normalement revenir à Anne-Marie Comparini, la candidate UDF, une protégée de Madelin, tandis que les socialistes se rallient à l’UDF qui sera élue.
Alors que Seguin. C’est peut-être à cause d’un saucisson, en effet, que l’affaire a mal tourné.
Le soir de l’élection du président du conseil régional de Rhône-Alpes, Seguin fermera sa porte avec un air de conspirateur, puis tournera la clé, avant de passer la soirée en tête-à-tête avec le saucisson devant son poste de télévision.
On ne saura jamais si c’est à cause de la contrariété du début de soirée ou du ravissement de la dégustation charcutière devant un programme télévisé passionnant, toujours est-il que Seguin a laissé commettre la faute qui allait déchirer, et pour longtemps, la droite française : l’UDF prendra prétexte de l’incident pour adopter une stratégie d’autonomie et présenter une liste aux élections européennes, quelques mois plus tard.
Seguin le sait. La preuve : le 10 janvier, il est injoignable. Il a été hospitalisé pour une bronchite aiguë et une immense déprime.
Après ça, Chirac cherche en vain à ramener Seguin qui ne supporte plus la stratégie « centriste » de l’Élysée.
Le 15 avril 1999, Bayrou « qui en est une composante essentielle ».
Jospin une opposition digne de ce nom.
Jean-Michel Thénard exprime bien le sentiment général quand il écrit dans Libération[2] : « Le séguinisme, un nombrilisme ? Si le député d’Épinal avait souhaité apparaître pire que sa caricature, c’est réussi [...]. S’il avait voulu donner une image grotesque d’une certaine politique “politicienne”, plus préoccupée par les querelles de boutique et les conflits de personnes que par l’intérêt général, c’est gagné. »
Cet homme qui avait tout pour réussir, n’était son caractère, a finalement tout raté, même sa sortie. Il s’est détruit lui-même. Il en restera bien quelque chose, comme un souvenir, qui vivotera jusqu’à l’explosion finale, lors de sa campagne suicidaire pour la mairie de Paris, en 2001.
Quant à Chirac qui vient d’ajouter un nouveau trophée à son tableau de chasse, on l’imagine bien s’écrier maintenant, en attendant le successeur de Seguin : « Au suivant ! »
1-
Entretien avec l’auteur, le 28 octobre 1998.
2-
Le 18 avril 1999.
La Tragédie du Président
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