Château de Limours.

Le billet qu’avait reçu Gautier était assez sibyllin pour autoriser les mirages. Et c’est peu dire qu’à force d’idéaliser la duchesse, il en espérait des légendes. « Soyez, s’il vous plaît, au pavillon de Limours, ce deuxième samedi d’octobre. Venez en toute oisiveté, pour que ne périssent point les arts de Cupidon. » Cette dernière phrase était tirée de M. Rabelais dont l’écuyer, malheureusement, ignorait jusqu’au nom... Il n’en fut pas moins précis au rendez-vous.

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C’était une de ces rares, une de ces précieuses journées d’automne qui, bien qu’empreintes encore des langueurs de l’été, annoncent déjà l’hiver par leur gravité presque suave. Derrière la demeure, les frondaisons d’or et d’ambre, rougeoyant sur un fond de sous-bois gris-bleuté, donnaient le sentiment d’avoir été créées pour quelque pastorale... Des daims, sans doute apprivoisés par la maîtresse des lieux, peuplaient ce bocage un peu trop idyllique.

— Vous venez voir madame la duchesse ? demanda le palefrenier qui, sitôt franchi le petit pont, était accouru pour s’occuper de la monture.

— Je dois me rendre au pavillon, précisa Coisay.

Le valet conduisit le visiteur vers le fond du domaine, jusqu’au havre étudié d’une chaumière. En vérité, les dehors frustes de la masure abritaient un dedans recherché.

Comme en songe, le palefrenier s’était volatilisé. Gautier se passa les mains sur le visage.

Il dégrafa sa cape, la jeta sur une chaise de noyer, caressa du regard les tentures de laine sombre, les tapis d’herbe tressée, le drôle de lit dégagé, sans baldaquin... Il contempla aussi le revers tout sculpté d’une cathèdre un peu haute.

Tout à coup, dépassant du dossier, l’écuyer aperçut un morceau de velours bleu, bordé d’hermine. Se pouvait-il...

— Anne ?

— Soyez le bienvenu, beau voyageur.

Il était sidéré. La belle tendit un bras qu’il soutint ; elle se leva. Avant qu’il ait eu le temps d’exprimer sa surprise, elle était dans ses bras et, posant ses lèvres sur les siennes, lui délivrait le plus accueillant des baisers. Sous le manteau doublé, elle portait une robe d’étoffe fine et profuse, comme une corolle opalescente, serrée sur une taille irréelle ! Quatre énormes topazes en soulignaient le décolleté large, pulpeux. Aucun collier sur son cou de biche.

— Merci d’être venu...

Il passa des doigts souples, habiles, dans ses cheveux d’or filé. Les yeux de la jeune femme, comme deux papillons prêts à s’envoler, clignaient paisiblement.

Par hasard – à moins que ce ne fût de la prescience – lui aussi portait une tenue bucolique : un pourpoint rouge ajusté, sanglé même, avantageant le torse, avec les manches brodées ; des chausses en peau de chamois glissées dans de fortes cuissardes. Elle le dévisagea.

— Jolis traits, monsieur...

Il est vrai qu’avec les années, le visage de Gautier s’était enrichi d’une patine agréable. Ses cheveux ondulés avaient à peine blanchi par mèches... Il n’était sûrement plus le séraphin qui avait embrasé, jadis, le cœur de Françoise de Longwy ; mais le cavalier mûri, épanoui qu’Anne recevait dans son Éden, n’avait rien à envier au damoiseau d’hier.

— C’est curieux, comme vos bottes se plaisent dans mes jupes.

Et sans lui donner le temps de se dégager, elle glissa l’étoffe fragile, vaporeuse, entre les cuissardes de cuir épais, ciré – malpropre. Elle fit crisser, tout doucement, le tissu qui ne résista guère, et se rompit assez pour laisser apparaître des cuisses nacrées, très douces.

— Non...

— Oh, si ! Voyez comme tout cela s’accorde !

L’écuyer, après un mouvement de gêne, éprouva du plaisir à profaner la soie délicate.

— Et mes agrafes, qui courent après vos lacets !

D’un mouvement provocant de la poitrine, elle avait emprisonné deux topazes dans les attaches du pourpoint, et jouait avec ; et tournait ; crochetait... Lui, croyant lui plaire, se mit à défaire un premier nœud ; elle lui prit la main pour qu’il cessât.

— Chhh... Laissez-moi faire.

Alors avec la bouche, avec la langue, avec les dents, elle tira férocement sur les sangles, les cordons, les aiguillettes qui retenaient ce costume un peu trop ajusté ; le tissu se mit à bâiller par endroits, révélant des éclats d’une peau cuivrée, souple ; elle y glissa le nez, respira, respira jusqu’à s’en soûler l’odeur du corps de Gautier. Lui, fut surpris par tant de liberté. Il avait le visage dans le décolleté soyeux d’Anne, se repaissant à l’infini de la douceur de ses seins.

— Tète-moi, dit-elle.

Il obéit, le cœur battant. Et se laissa guider encore... Il la suivit ce soir-là, hors du temps, dans tous les désirs étranges qui paraissaient couler en elle d’une source sensuelle – désirs rares autant qu’évidents. Et lorsque, le disque solaire ayant sombré derrière les arbres, elle lui proposa de rentrer plus au chaud, il sut sans l’ombre d’un doute qu’elle allait, devant le feu crépitant, lui proposer d’autres découvertes. Et d’autres... Et d’autres...

Les Fils de France
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