Lyon.

Charles Quint venait de passer les Alpes.

Quand cette nouvelle parvint à la Cour, fin juillet, le souverain estima qu’il se devait, avec ses fils, de montrer l’exemple en allant, sur les bases arrière du dispositif français, soutenir Montmorency dans son camp d’Avignon. Depuis Lyon, en somme, il suffirait de suivre la vallée du Rhône... Une armée de valets se mit dès lors en branle pour préparer la migration royale. Des centaines de caisses et de malles accueillirent les tenues, les accessoires, les meubles même, indispensables au train de vie d’un roi de France en campagne. Restait à les charger sur de lourds chariots à bœufs.

Seulement la canicule s’en mêla, et pour échapper à un soleil de plomb, à une touffeur moite, il fut admis que le gros des préparatifs s’effectuerait à la fraîche – ce qui fit perdre du temps.

— Nous devrions être en route depuis déjà deux jours, maugréa le dauphin qu’indisposait d’ailleurs la grosse chaleur.

Car François, fragile des poumons depuis sa captivité en Espagne, ne respirait bien que par temps sec.

— Que diriez-vous d’une partie de paume ? proposa son frère Orléans.

— Trop chaud, dit Saint-André. Vous avez décidé de nous sécher comme des harengs ?

— Saint-André a raison, estima François. Votre folie de la paume nous tuera !

Montecucculi, plus cabotin que jamais, fit une entrée de théâtre chez son maître.

— Messeigneurs, lança-t-il en posant sur la table une grosse bonbonne couverte, j’ai là-dedans un trésor pour lequel, sans aucun doute, certains d’entre vous feraient des folies !

— Nous ne payons cher que les très belles femmes ! lança un nommé Dinteville.

— Ou les très laides, si elles cuisinent bien, rectifia le dauphin, gourmand.

Parce qu’il était d’un naturel plus curieux que les autres, Orléans s’approcha de la terrine.

— Ça se mange ?

— Cela se boit, Monseigneur.

— Je déteste les alcools forts.

— Mais ce n’est pas de l’alcool !

Descellant prestement le couvercle, le comte Sébastien mit alors la main dans la bonbonne et en ressortit... une poignée de neige – inespérée par si grosse chaleur.

— Mais d’où vient ce miracle ? Du Mont-Blanc ?

— Ah, ah !

Le Ferrarais triomphait.

— Je vous avais dit que j’allais faire des envieux ! Cela provient simplement de la glacière2 d’à-côté.

— Après cela, lança le prince Henri à son frère, aurez-vous encore le cœur à me refuser une manche de paume ?

— Vous avez dit « une manche », je vous prends au mot.

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Il faisait bien orageux, décidément, et ni le prince François, ni Saint-André ne tinrent une manche entière.

— Pardonnez-moi, dit le dauphin, mais je ne saurais aller plus loin.

Il avait le teint fort rouge et soufflait de manière alarmante. Orléans, non moins rouge et suant, se retourna, exaspéré, vers Dinteville.

— Nous jouerons donc tous deux !

— À votre convenance...

Les deux démissionnaires se traînèrent jusqu’à la galerie longue. L’échanson les y attendait, une grande timbale d’argent à la main.

— Pleine d’eau « à la glace » ! annonça-t-il fièrement.

Le dauphin s’effaça ; Saint-André y trempa les lèvres.

— Trop froid, dit-il. Beaucoup trop froid.

Et il rendit la timbale. Le beau Sébastien se renfrogna.

— J’en avais un plein broc, fit-il observer.

Alors le dauphin prit la timbale et but, but jusqu’à la vider.

— Merveilleux, dit-il en se frottant, toutefois, la tempe gauche.

— Monseigneur fait honneur !

Ragaillardi, le Ferrarais remplit la timbale et la remit à son maître qui, sans doute pour lui complaire, y but encore, tout en regardant jouer les deux paumiers invétérés. À ses côtés, Saint-André changeait de souliers. Il jeta un œil en direction du dauphin et, surpris de sa mauvaise mine, lui demanda si tout allait bien.

— Cette eau glacée m’a saisi, lui répondit le prince.

— Beaucoup trop froide, redit Saint-André.

— Du reste... Mon Dieu... Je crois que je vais défaillir...

Sans pouvoir ajouter un mot, François s’affala comme un sac vide. Il avait à présent la bouche ouverte et les yeux révulsés.

— À moi, Dinteville ! hurla Saint-André.

Les deux autres accoururent, tandis que Montecucculi et un archer tentaient déjà de ranimer l’héritier de la Couronne.

— Ne le laissez pas ici ; il y fait trop chaud, déclara le prince Henri.

Saint-André prit la direction des opérations.

— Dinteville, sautez donc en selle et nous ramenez des secours ! Vous, ordonna-t-il à Montecucculi, vous allez m’aider à installer monseigneur au-dehors.

Ils soulevèrent le dauphin, le portèrent sur trente pas et le déposèrent dans l’herbe, au pied d’un chêne bien ombragé. Le prince Henri avait plié un pourpoint pour le glisser sous la tête de son frère.

— Il me paraît très mal, s’inquiéta-t-il.

— Non, tout va bien, articula François.

Mais il perdit à nouveau connaissance.

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Comme un quarteron de corbeaux, les médecins se pressaient autour du lit princier. L’un en tenait pour la saignée, un autre pour le cataplasme, un troisième pour les ventouses...

— En tout cas, fit remarquer Catherine de Médicis, vous autres ne manquez pas de remèdes !

La Faculté jugea déplacée cette observation.

Assis au chevet de son fils, et lui tenant une main, le roi François ne cédait pas à l’inquiétude ambiante. Il souriait, à son habitude, et voyant le dauphin reprendre peu à peu ses forces, voulut traiter l’incident sur le mode anodin.

— Vous allez faire une bonne nuit, et demain, plus rien n’y paraîtra.

Le monarque toisa les médecins.

— Car j’imagine que vous ne verrez nul inconvénient, messieurs, à ce que mon fils prenne, sous notre bonne garde, la route d’Avignon.

Les praticiens regardèrent leurs pieds.

— Bien ! dit le roi François. Tout ira donc pour le mieux !

Diane de Brézé entrait par une porte dérobée, accompagnée de son herboriste contrefait.

— Il y a trop de monde ici, dit-elle à mi-voix.

La grande sénéchale fit sa révérence, puis elle s’approcha du chevet de ce dauphin dont personne n’ignorait qu’elle l’avait élevé depuis l’enfance. C’est d’ailleurs sur le ton de l’autorité maternelle qu’elle redit, après avoir poliment souri au roi pour l’exclure de sa remarque, qu’il y avait trop de monde autour du malade, et qu’il était grand temps d’évacuer la chambre.

— Saignerons-nous ? hasarda un médecin sur le départ.

— Demain, répondit Diane avec ce mépris souverain dont elle gratifiait la terre entière.

Elle dévisageait le malade à présent, jaugeant la gravité de son état. Pensait-elle, en inspectant le teint si jaune du prince, à l’ancienne prédiction de ce mage qui, jadis à Blois, lui avait dit que l’aîné des Fils de France ne survivrait pas, et que le successeur de François Ier serait le prince Henri ? Le roi interrompit ses songes.

— Puisque vous êtes là, déclara-t-il, mon fils est entre bonnes mains.

— Sire, j’ose espérer que vous ne comptez pas l’entraîner, dans son état, sur les routes de Provence...

— Je suis seul juge de mon état, déclara le dauphin comme s’il revenait d’un coup à la vie.

La sénéchale cilla, et prit un air pincé ; visiblement, François n’aurait pas la docilité déférente de son cadet.

— Écoutez tout de même Mme de Brézé, lui ordonna son père. Elle est toujours de bon conseil.

Sur quoi le monarque sortit avec l’idée bien arrêtée d’emmener son fils avec lui.

Les Fils de France
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