Lyon, le jeu de paume des prés d’Ainay.

— Tenez13 !

Avec force et maîtrise, Henri d’Orléans donna un tel effet à sa balle qu’elle effleura tout juste l’appentis de la petite galerie – on disait « le dedans » – avant d’aller rebondir au sol. Son partenaire, l’écuyer Saint-André, en profita pour monter au filet. En face d’un pareil champion, ses deux frères paraissaient à la peine ; menés aux points, ils avaient déjà plusieurs fois dû s’incliner sur leur service. Charles d’Angoulême multipliait les « chasses » défavorables – ce que ne manquait pas de lui reprocher le dauphin François, en termes discrets mais vexants.

Massé derrière le grillage de cette galerie longue qui borde le plus long côté des salles de paume, un public trié suivait l’échange. Plusieurs amis des Fils de France, dont La Noue et Dinteville, ne ménageaient pas leurs encouragements. Quant à Montecucculi, partisan malheureux du dauphin, il commentait la partie à l’intention de son nouvel ami Simon – qui s’était présenté à son cercle comme « chevalier » de Coisay.

— On entend la galerie ! fit observer Orléans de façon peu civile.

Le Ferrarais baissa d’un ton.

La partie s’achevait sur un triomphe de plus pour le prince cadet qui paraissait, quel que fût son partenaire, imbattable à ce jeu. Le dauphin, lui, soufflait à perdre ses poumons ; pourtant agile et bien développé, il était loin de partager la forme d’athlète de son frère Orléans. Quant à Angoulême, il ne s’intéressait guère au jeu, et s’amusait davantage à faire tenir sa raquette en équilibre sur son front...

— Aumale ! appela François. Aumale est là ?

— Ici Monseigneur, répondit le tout jeune François de Guise, comte d’Aumale.

— Remplace-moi donc pour la prochaine.

— Ce n’est donc pas assez pour aujourd’hui ? demanda Jacques de Saint-André.

— Parlez pour vous, dit Henri ; moi, je ne fais que commencer.

Il était souvent difficile, quand s’exprimait ce prince, de saisir son état d’esprit ; car sous des dehors taciturnes, se cachait en vérité une bonne dose d’humour. Henri d’Orléans se révélait dans la pratique intensive des exercices physiques.

Avec une certaine aisance, le comte de Montecucculi servait à présent des rafraîchissements aux joueurs et à leurs invités – un mélange de jus d’agrumes de sa composition. Le dauphin lui fit signe de se pencher pour n’avoir pas à hausser la voix.

— Rappelle-moi qui est cet écuyer ; il me semble l’avoir vu, déjà.

— C’est Simon de Coisay. Il fut autrefois au duc d’Alençon, puis aux Brézé.

— Parfaitement.

Le prince se tourna vers la galerie.

— Coisay, approchez, voulez-vous ?

— Monseigneur ?

— Vous pratiquez la paume, je crois...

— Si peu... Mais je viens de prendre une leçon.

Le dauphin sourit et n’insista pas.

— François, demanda soudain son plus jeune frère, irai-je avec vous à la guerre ?

— Vous n’êtes qu’un enfant, allez donc jouer à la raquette !

Alors, sans qu’il ait pu régir, le dauphin se vit asséner par Angoulême un assez violent coup de paume sur le crâne. La victime commença par se frotter la tête puis, soudain rouge de colère, poursuivit le garnement dans les galeries pour aller l’étrangler de ses propres mains.

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— Ainsi donc, vous vous battez en duel...

La duchesse d’Étampes – le comté de son mari était devenu un duché – s’était invitée au jeu de paume d’une manière inopinée ; mais son irruption n’ayant pas surpris l’assistance, Simon en déduisit qu’elle n’avait rien d’inhabituel. Elle avait pris place, au milieu de la petite assistance, dans la galerie longue. Or, à peine assise, c’est à lui, Coisay, qu’elle s’était adressée. Il en conclut que son nouvel ami avait dû parler en haut lieu, ce qui n’était pas forcément une bonne chose... Plutôt adepte d’une certaine discrétion, l’écuyer se sentait partagé entre le plaisir d’un tel honneur et la gêne de ce qui l’avait suscité ; Sébastien était-il allé jusqu’à donner certains détails ?

— Et vous avez, dit-on, des armes secrètes, ajouta la favorite en gloussant.

Pas de doute : l’échanson avait tout raconté... Simon sentit le rouge lui monter au front. Mais la duchesse d’Étampes sut le mettre à son aise.

— Je trouve cette histoire merveilleuse, déclara-t-elle. Si tous les combats pouvaient s’achever dans un fou rire !

— Les champs de bataille changeraient d’aspect, concéda Simon.

La favorite, cette fois, pouffa sans retenue.

— On entend beaucoup la galerie !

— Cet Orléans est un vrai rabat-joie, murmura la duchesse entre ses dents. Vraiment ils se sont trouvés !

Elle faisait allusion à son ennemie intime : « la Vieille » comme elle disait... Le beau Ferrarais, qui aimait rire ou plutôt, n’aimait pas qu’on rît sans lui, vint se mettre en tiers à leur entretien.

— Duchesse, vous m’avez l’air plus dissipée encore que de coutume. Serait-ce notre chevalier qui vous débauche ?

« Notre chevalier »... Simon, tout en s’efforçant de faire bonne figure, se sentait déplacé dans ce monde factice. Lui, l’enfant bâtard, le frère proscrit, le pilier de taverne, voilà qu’il devisait maintenant, en toute complicité, avec la maîtresse en titre du roi de France !

— Je suis d’humeur joyeuse, répartit Anne de Pisseleu, et ce n’est pas sans raison.

On voulut en savoir davantage.

— Figurez-vous que l’ambassadeur impérial nous quitte.

— Rappelé ?

— Évidemment. C’est la guerre... annonça la favorite comme elle eût dit : « voici le printemps » ou « c’est aujourd’hui mardi gras ».

— Fini le jeu de paume ! soupira le dauphin François qui s’était approché du petit cercle.

— Vous avez encore un peu de temps. Mais le roi veut ses trois fils avec lui au combat.

— S’il peut s’y rendre, vu son état...

— Le fait est que ce mauvais abcès ne va pas en s’arrangeant. Le pauvre homme endure un martyre, lâcha la belle Anne avec une moue et l’amorce d’un frisson.

La partie de paume s’achevait mais le public, saisi par la nouvelle de la guerre, ne manifesta pas, pour les vainqueurs, l’enthousiasme habituel. On ne parlait plus, dans la galerie, que de camps, d’armées, d’ordres de marche et de bagages... Montecucculi, posant la main sur l’épaule de Simon, sourit à la favorite.

— Que diriez-vous, madame, de prier Coisay de se joindre à nous ce soir ?

— Riche initiative, comte ! Monsieur de Coisay, je recevrai dès neuf heures.

Elle allait quitter les lieux quand, mue par une soudaine réminiscence, elle revint vers Simon.

— Coisay, dit-elle, Coisay... Un rapport avec le Gautier du même nom ?

Le « chevalier » se raidit un peu.

— Aucun, madame.

Les Fils de France
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