Environs de Boulogne-sur-Mer.

Quand la guerre se calmait sur un front, c’était pour mieux reprendre sur un autre... Depuis un an, la place-clé de Boulogne était aux mains des Anglais, plus que jamais alliés de l’empereur. Le roi de France avait chargé le maréchal du Biez de la reconquérir. Seulement ce vaillant soldat n’avait pas, loin s’en faut, le génie stratégique d’un Montmorency ; et le siège qu’il avait mis devant la bonne ville commençait à s’éterniser.

Le 15 août, le moral déjà vacillant des Français avait subi une atteinte imprévue : on apprenait en effet que les deux cents vaisseaux de l’amiral d’Annebault, après des tentatives sans lendemain de débarquement à Douvres et dans l’île de Wight, venaient de faire repli sur Le Havre. C’en était donc fini du beau rêve d’une invasion d’Albion, cinq cents ans après Guillaume.

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Simon de Coisay, recommandé par le duc de Brissac, subissait en Boulonnais son baptême du feu. Jusqu’ici, en dépit d’une carrière de messager déjà longue, il n’avait jamais approché des champs de bataille. Celui-ci n’était pas le pire ; et les engagements sporadiques opposant la noblesse de France aux arquebusiers anglais relevaient ici, le plus souvent, de l’escarmouche. Nul, cependant, n’était à l’abri d’une balle perdue. Surtout, rien n’interdisait à l’accrochage habituel de dégénérer en combat sévère.

C’est ce qui arriva ce jour-là.

Sous un ciel gris de plomb seulement déchiré, par endroits, de trouées d’un blanc aveuglant, les régiments d’Aumale et de Brissac avaient tenté le coup de feu sur un poste avancé de Gallois mal embouchés. Le jeune duc avait donné l’ordre à Simon de ne pas le perdre de vue, afin de maintenir, le cas échéant, la liaison avec le camp royal. C’est au passage d’un marais que la situation, de difficile déjà, devint très dangereuse. Un détachement de cavaliers anglais surprit les Français sur leur flanc droit, et la mêlée qui s’ensuivit fut affreuse. Sous les coups de masse et de hache, le sang jaillit, des membres volèrent. Simon, pétrifié de terreur, entendait alentour le fer des lances chassant sur les boucliers.

Soudain, avant qu’il ait eu le temps de réagir, l’écuyer picard se sentit happé en arrière et jeté à bas de son cheval. Il allait se faire piétiner, proie offerte aux jambes des chevaux mais aussi aux épées dont les coups pleuvaient de partout, quand la poigne phénoménale d’un compagnon de Brissac le hissa vers sa propre selle et, l’extirpant des montures enchevêtrées, l’éjecta loin de la mêlée sanglante.

— Votre nom ! s’enquit Simon dans un débordement de gratitude. Votre nom, monseigneur !

— Bentivoglio ! hurla le jeune chevalier en remontant à l’assaut.

Simon n’aurait pas été plus ébahi si l’archange Michel en personne avait fondu des nues pour lui sauver la vie. Son cœur s’enflait dans sa poitrine, à lui faire mal ; il n’aurait su dire ce qui le bouleversait le plus, de la peur qu’il avait ressentie ou de l’extase d’être sauvé.

Des hurlements rapprochés tirèrent l’écuyer de sa stupeur. Brissac lui-même, passant au galop, paraissait effrayé. Simon se retourna pour découvrir, à cent pas seulement, ce qui justifiait tant d’alarmes.

Il vit alors François d’Aumale, fils du duc de Guise, le visage ruisselant de sang, dévalant le talus à la tête d’un petit groupe monté. Le blessé se laissa tomber de son destrier, dans les bras qui se tendaient pour le soutenir. Il gémissait, aspergeant ses compagnons de flots de sang. Alors qu’on l’emportait vers la vaste tente verte qui, plus loin dans ce secteur, accueillait l’ambulance, Simon se détourna pour ne plus voir cette face percée de part en part, et qui persistait à vivre et à se plaindre.

Les Fils de France
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