Palais de Lyon.

Resté à Lyon avec le gros de la Cour, Simon de Coisay avait appris, affligé, la nouvelle de la mort du dauphin François. Il y était d’autant plus sensible que les circonstances, depuis quelques semaines, l’avaient amené à fréquenter le prince défunt. Des rumeurs de poison circulaient à propos de cette mort surprenante ; et l’écuyer s’émut d’apprendre que – « par mesure conservatoire » – on avait arrêté plusieurs officiers du défunt, dont son échanson, Montecucculi.

— Ils ne croient tout de même pas que Sébastien aurait tué son protecteur !

L’incrédulité de Simon fit bientôt place à de l’inquiétude, avant de se muer en colère ; la ville bruissait en effet des soupçons que « la Cour » – pour ne pas citer le roi – nourrissait contre le Ferrarais, suspect pour avoir servi, jadis, l’empereur Charles Quint en personne. Pis : il se disait qu’à la faveur d’une perquisition, l’on avait retrouvé chez le jeune homme une sorte de traité des poisons. Les éléments, dès lors, se trouvaient réunis pour établir un doute sérieux. Sébastien devait être interrogé « dans les formes ». Cela signifiait que les enquêteurs allaient le soumettre aux diverses tortures en usage – et c’est peu dire qu’il en existait d’efficaces...

— C’est un mauvais rêve ! Mais il faut faire quelque chose, se répétait Simon.

N’écoutant pas les voix de prudence qui, du plus profond de lui-même, lui conseillaient de disparaître, le « chevalier » de Coisay reprit donc le chemin de la Cour, dans l’espoir d’être reçu par la duchesse d’Étampes. Au nom de certains souvenirs encore frais, il espérait la convaincre d’intercéder en faveur de leur ami commun.

Seulement la favorite était, ce jour-là, « sortie » – et c’est la grande sénéchale que l’écuyer croisa sur son chemin.

— Coisay ! dit-elle sans buter un instant sur son nom. Mais quelle surprise !

Ils ne s’étaient pas vus depuis près de dix ans.

— Madame, laissez-moi vous présenter mes hommages, fit un Simon pressé de prendre la tangente.

Diane ne l’entendait pas ainsi.

— Mais dites-moi, mon ami, seriez-vous ici en mission ?

— Oui, madame, ou plutôt... non. J’espérais être reçu par... quelqu’un.

Simon s’était rappelé à temps cette histoire de haine recuite entre la sénéchale et la favorite.

— Quelqu’un... Et qui cela ?

— Je... Je venais voir notre nouveau dauphin, mentit l’écuyer.

— Mais le dauphin est pour l’heure aux armées ! s’exclama Diane de Brézé. L’on voit bien que vous n’êtes plus de ce pays.

La grande sénéchale ne lui laissa pas le temps de trouver une échappatoire.

— Coisay, poursuivit-elle, c’est un hasard heureux qui vous a conduit jusqu’à moi. Figurez-vous... Mais accompagnez-moi plutôt, s’il vous plaît. Je m’en vais louer le Seigneur du retrait miraculeux de l’empereur. Car le siège de Marseille est levé, le saviez-vous ?

Furieux de s’être fait piéger, l’écuyer suivit la dame jusqu’à l’entrée d’une chapelle.

— Vous n’êtes pas l’un de ces réformés, au moins ?

— Je suis fort bon chrétien, madame.

— Allons, tant mieux. Entrons !

Elle s’agenouilla sur un prie-Dieu et convia Coisay à faire de même. À son habitude, elle ne s’embarrassa d’aucun détour.

— Si j’en crois le cardinal Le Veneur, se lança-t-elle, votre frère est, depuis peu, rentré des Indes4. Il aurait débarqué à Saint-Malo en juillet. Il se trouve que le grand maître et moi-même avons quelque raison de lui en vouloir ; je vous dirai seulement qu’il a rendu naguère, à mon détriment, un douteux service à l’amiral de Brion.

— Il faut vous dire, madame, que je n’entretiens plus aucun lien avec mon frère.

Diane avait mieux à faire qu’entrer dans les querelles de famille de deux écuyers ; et d’autant plus qu’elle se rappelait vaguement n’être pas tout à fait étrangère à leur brouille... Elle alla droit au but.

— Je désirerais que vous rentriez en contact avec lui, que vous désarmiez ses préventions éventuelles et que, tablant sur votre parenté, vous regagniez rapidement sa confiance.

Simon ne promit rien. Il était venu pour tout autre chose.

— Un officier de bouche des Fils de France est actuellement suspecté, ce qui paraît incroyable, d’avoir empoisonné le pauvre dauphin François (Dieu ait son âme).

— Vous voulez parler de cet Italien. Vous le connaissez donc ?

— Un peu, madame ; très peu, en fait...

— Tant mieux. Car je crains fort de ne rien pouvoir en sa faveur.

— C’est qu’il a grand besoin, madame, que quelqu’un ouvre les yeux du roi, et fasse comprendre à Sa Majesté combien cette idée d’empoisonnement est absurde.

— Le fait est que les médecins n’ont relevé aucune trace de poison... Seulement des lésions pulmonaires.

— Et pour cause !

La grande sénéchale se remit en position de prière.

— Je regrette, monsieur, mais ce sont là des matières qui m’échappent. Si cet Italien est l’assassin du ci-devant dauphin, il faudra qu’il paie pour son crime. Sinon, la justice du roi le disculpera.

— Cependant...

— J’aimerais prier en paix, à présent.

Simon se releva et salua comme un automate. Il se demandait vaguement si cette femme, une fois dans sa vie, avait éprouvé des sentiments vraiment humains... Il allait quitter la chapelle quand une voix impérieuse – une voix qui n’était pas sans rappeler celle de la défunte régente – le figea sur place.

— J’espère, en tout cas, pouvoir compter sur la réconciliation des frères de Coisay ! Mon mari vous appelait « les Dioscures »...

Simon sortit sans répondre ; ce rappel d’une complicité perdue venait de lui briser le cœur.

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Trois jours plus tard, Simon fut enfin admis chez la duchesse d’Étampes. Inconséquente ou bien perverse, elle le reçut dans la chambre même où ils avaient, quelques semaines plus tôt, connu des émois de tous ordres... La favorite, au reste, ne se montra guère chaleureuse ; elle lui fit remarquer d’emblée quel risque elle prenait en le recevant, et quelle imprudence il commettait lui-même en revenant sur les lieux de leurs licences.

— Vous imaginez sans doute, madame, ce qui motive ma venue...

— Je n’en ai, pour tout vous dire, aucune idée. Clémence !

Une jeune soubrette apparut dans l’instant, fine et rapide comme une petite souris. Anne de Pisseleu lui tendit un important joyau de perles montées en or blanc – apparemment un serre-tête – qu’elle avait trituré en tous sens.

— Clémence, voulez-vous me trouver un orfèvre capable de réparer ceci. Faites vite, j’en aurai besoin demain soir.

La soubrette prit le bijou avec beaucoup de soin, fit une petite révérence et ressortit aussi vite qu’elle était entrée.

— Parlez, monsieur, dit la duchesse à Simon – mais du ton que l’on réserve aux importuns.

Il songea que l’heure était passée, des rires et des privautés.

— Je voulais vous parler du comte de Montecucculi, madame.

— Taisez-vous donc, malheureux !

Anne bondit de son siège, se précipita vers la porte et, vérifiant qu’on n’avait pu les entendre, revint vers Simon qu’elle prit par le bras.

— Êtes-vous donc mal intentionné, que vous prononciez chez moi de tels noms ?

— Mais...

— Il faut que vous oubliiez ce garçon, Simon. Il était charmant, beau même, je vous l’accorde ; mais considérez-le comme un homme mort ou pire : comme un dangereux cadavre !

L’écuyer ne chercha pas à cacher son désarroi. La favorite reprit, parlant tout bas.

— Ne savez-vous pas que, sous la torture, votre ami a fini par avouer tout ce qu’on a voulu ? Il a reconnu son crime, et dénoncé maints complices... Louez le Seigneur de n’être pas du nombre !

— Mais ce sont des aveux extorqués !

— Bien sûr, et après ? Cela change-t-il en rien le résultat ? Il faut au roi un coupable, Simon, et plus encore une punition éclatante. Pardonnez-moi de vous l’apprendre, mais un Grand Conseil, composé tout exprès, s’apprête à condamner votre ami au pire des supplices : on va l’écarteler en public !

— Ne dites pas cela !

Au regard perdu de son visiteur, devant sa mine défaite, la duchesse d’Étampes se sentit prête à fondre. Une fois encore, elle s’assura qu’ils étaient seuls et, furtivement mais non sans tendresse, déposa un petit baiser sur les lèvres de Simon.

— Quittez cette ville ! lui murmura-t-elle à l’oreille. Éloignez-vous de la Cour, oubliez toute cette histoire... En son nom même, je vous en conjure : ne cherchez pas à défendre un mort en sursis : votre Italien a pris sur lui tous les péchés du royaume.

Les Fils de France
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