Chambord.

Le roi François aimait tant la chasse que, surmontant la douleur, il s’efforçait presque chaque jour de se mettre en selle et à tenir ainsi plusieurs heures à cheval. Dans la « petite bande » qui l’accompagnait, personne n’ignorait les évolutions de l’abcès royal ; et selon l’avis des médecins, l’on adaptait la chasse, quitte à l’écourter au besoin... Ce jour-là, Brissac avait opté pour le haut vol – une chasse au gerfaut, physiquement moins exigeante que d’autres. En vérité, la sortie ne s’était révélée qu’un dérivatif ; et quoiqu’il fût tôt encore, on remontait déjà vers le logis.

Parmi les chasseurs, la moins assidue n’était pas la dauphine Catherine que son époux Henri, parti au-devant de l’empereur, avait laissée avec la Cour. Sa finesse d’esprit, sa constante bonne humeur, sa résistance physique aussi, avaient fini par l’imposer comme un pivot de ces chevauchées quotidiennes.

— Sire mon père, dit-elle, admirez, je vous prie, le point de vue sur Chambord ! Le chef-d’œuvre de Léonard paraît achevé, vu d’ici.

— Il l’est quasiment, dit le roi, en tirant sur ses brides pour venir se placer à hauteur de sa bru. Il faut bien qu’il le soit pour recevoir l’empereur dignement.

Les autres chasseurs avaient fait halte ; mais ils manifestaient moins d’intérêt que la dauphine pour cette architecture nouvelle, un peu trop hardie à leurs yeux.

— C’est très beau, n’est-ce pas, Catherine ?

— Sire, c’est au-delà des mots. L’on dirait l’Empyrée de Dante... Ces tours rondes agrégées, ces croisées alignées en rythme, cette forêt de hautes cheminées... Ce bâtiment est un navire en suspens, dans lequel tiendrait tout un port !

François jeta vers la petite Médicis un regard fier et ravi.

— Voyez-vous, messieurs, déclara-t-il en relançant son cheval, vous avez là toute la différence entre notre France et son Italie. Entre Blois et Florence ! Ici aussi, nous savons construire de grandes choses ; seulement nous ne savons pas encore en parler !

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Pendant le débotté qui, à chaque retour de chasse, voyait les gentilshommes se bousculer pour l’honneur de retirer ses cuissardes au monarque, le vieux duc de Guise, un prince lorrain pénétré de l’importance de sa maison, fit rouler le propos sur sa fille, Marie. Elle venait d’épouser le roi d’Écosse Jacques V. C’était un sujet douloureux pour François, la petite Guise ayant tout bonnement pris la place de sa fille défunte, la princesse Madeleine.

— Je prie tous les jours Dieu qu’elle soit bientôt grosse, dit le duc Claude.

— Son mariage est encore bien récent... fit remarquer le roi.

— Mais il est besoin d’avoir une lignée en Écosse ! objecta l’autre, non sans cruauté.

Car ce besoin-là se faisait sentir en France plus qu’ailleurs, et la présence au débotté de la dauphine, toujours inféconde après six années, conférait à une telle remarque des résonances assez pénibles. Sans compter que tout le monde, à la Cour, avait eu vent depuis longtemps de la bonne fortune du dauphin, et de la naissance, à Moncalieri, de son premier enfant – la fille de Filippa Duci...

Non sans courage, Catherine de Médicis choisit d’affronter le duc.

— Je me suis laissé dire, insinua-t-elle en essayant de rester calme, que vous verriez fort bien votre fille cadette, la jeune Louise, à ma place dans le lit du dauphin.

— Madame, pure calomnie !

Le roi, lui-même gêné, tenta une diversion.

— Cette Écosse est une étrange contrée...

Mais Catherine insista. Suivant le conseil de Diane de Poitiers, elle prit le risque de s’en remettre au roi sans détour, de son avenir à la Cour de France. À la stupéfaction des quelques témoins, la jeune Florentine s’agenouilla devant François Ier et, ne cherchant pas à retenir ses larmes, se déclara désespérée de ne pouvoir donner au dauphin, à la famille royale et, finalement, à la France, l’héritier que tous étaient en droit d’attendre.

— Je suis peut-être maudite, hasarda-t-elle.

— Bien sûr que non...

— Je suis résolue à suivre, en tout point, la volonté de Votre Majesté, et à régler mon sort sur son bon vouloir.

— Mais de quoi parlez-vous ?

Catherine sanglotait à présent.

— C’est tellement dur, gémit-elle, tellement dur !

— Pauvre enfant...

On crut pouvoir arrêter ses jérémiades. Mais les choses étaient allées trop loin.

— Oh, sire, s’il le faut, je consens à me retirer dans le monastère qu’il vous plaira de m’indiquer et même, si telle est votre décision, de changer de rang à la Cour, et d’entrer moi-même, comme dame d’honneur, au service d’une nouvelle dauphine !

Le désespoir de la Florentine était sincère, même si son abnégation, un peu trop poussée, donnait le sentiment d’avoir été méditée. Se tournant soudain vers le vieux duc de Guise, la dauphine le prit à témoin de son abaissement volontaire et de sa parfaite soumission aux décisions du souverain.

— Oui, monsieur, si l’on optait pour l’annulation de mon mariage et que l’on en vînt à unir votre fille à mon époux, je vous assure que j’accepterais de la servir en tout, bien honnêtement.

— Voyons, madame...

— Je le ferais, hoqueta Catherine, par amour du dauphin !

Elle s’étranglait à présent de sanglots et le roi François, bien surpris d’une telle scène, tentait de la relever pour la serrer dans ses bras.

— Là, là, dit-il, paternel et compatissant. Qu’allez-vous inventer, ma fille ?

— Oh, sire !

— Calmez-vous, je vous le demande. Personne ne vous a priée de quitter ma Cour, et je n’imagine pas que de telles idées aient sérieusement effleuré quiconque !

C’était une petite pierre dans le jardin des Guise. François se rassit et plaça Catherine, comme une enfant, sur ses genoux. Elle avait sorti de ses jupes un grand mouchoir dans lequel son visage disparaissait tout entier. Le roi prit une voix rassurante, à la fois bien nette et très douce.

— Dieu a voulu que vous soyez ma bru... dit-il sur un ton presque chantant.

Catherine fondit en larmes de plus belle ; mais le roi ne se laissa pas désarmer.

— Dieu a voulu que vous soyez ma bru, que vous soyez la femme du dauphin... Eh bien je ne veux pas, moi, qu’il en soit autrement ! M’entendez-vous ?

La malheureuse dauphine sanglotait encore en silence.

— Nous devons être patients, ma fille. Et mettre toutes les chances de notre côté... Peut-être, à la fin, Dieu voudra-t-il se rendre à vos désirs... et aux nôtres ! Sommes-nous d’accord ?

Catherine de Médicis ne répondit pas.

— Sommes-nous bien d’accord, Catherine ?

— Oui, souffla-t-elle.

Elle reniflait à présent comme une enfant.

Les Fils de France
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