Château de Saint-Germain-en-Laye.

— Répète donc, Vivonne, ce que tu m’as raconté hier !

Le dauphin tenait à ce que François de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie, fît profiter la compagnie d’un potin qui l’avait amusé.

— Monseigneur, je ne sais si je dois...

— Raconte, raconte ! Au moins cela nous distraira.

Ce matin-là, une pluie froide, agitée par des coups de vent, avait retenu les chasseurs au manège, ce qui n’était jamais bon. Leurs bouillantes natures, quand elles ne trouvaient pas à s’épancher au-dehors, instituaient en effet un climat de nervosité propice à tous les mauvais pas. Il était rare, du reste, qu’une chasse fût annulée pour intempéries – mais la violence des trombes avait eu raison même des meilleures volontés.

— C’est à propos de Jarnac, précisa Henri à l’attention de ses amis.

Les jeunes seigneurs – Brissac en tête – oublièrent un instant la séance de dressage pour tendre une ouïe malveillante.

— Eh bien, dit La Châtaigneraie, je disais au prince que le petit Jarnac couchait peut-être avec sa belle-mère.

L’assistance pouffa pour la forme, mais sans enthousiasme. Le dauphin soupira.

— Mais que tu racontes mal !

Il dut se résoudre à narrer la chose lui-même.

— Figurez-vous que l’autre soir, mon Vivonne croise le dameret – c’était le surnom que les ennemis de la duchesse donnaient à son frêle beau-frère – dans l’antichambre de la reine. « Oh, lui dit-il, le joli baudrier que voilà ! – Oui, répond le marmot, c’est Mme de Puy-Guyon qui me l’a offert. » Pour ceux qui l’ignoreraient, cette dame est sa... sa... sa belle-mère !

Cette fois, les rires fusèrent de bon cœur. Encouragé, le prince Henri continua sur sa lancée.

— « Oh, poursuit notre ami, et voyez donc ces bottes ! – Elles sont du même peaussier », précise le dameret. « – Ah oui ? Et ces gants magnifiques ? – Tout de même ! » ajoute le petit baron qui commençait à rougir. Et c’est là qu’il déclare à notre bon Vivonne : « Que voulez-vous, monsieur, la mère de ma femme a pour moi de ces bontés ! » Jusqu’où vont-elles, je vous en laisse juges.

Cette fois, tout le manège s’esclaffa. L’on applaudit le dauphin, l’on tapa sur le dos de La Châtaigneraie.

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Quand le dressage eut repris, le distingué comte d’Enghien, considéré comme un héros depuis sa brillante victoire de Cérisoles, s’approcha discrètement du prince.

— Monseigneur, dit-il, vous devriez vous méfier de Vivonne et de ses médisances. Car ce n’est pas la première fois qu’il colporte ce bruit sur Jarnac, auquel il voue une sorte de haine...

— Et puis, monsieur ?

— Eh bien... Il en est revenu quelque chose aux oreilles du baron...

— Mais encore ?

— Le baron a menacé d’en demander raison...

— Tiens donc !

Le dauphin, partagé entre la colère et l’amusement, choisit de prendre les choses à la légère.

— Tu entends cela, Vivonne ? Le dameret, à ce qu’il paraît, demanderait raison de tes paroles !

— Je n’ai jamais dit que la vérité.

— Mais personne, ici, n’en doute ! Ce qui nous amuse, c’est d’imaginer un duel entre lui et toi.

Les rires fusèrent à nouveau, car c’était, de fait, une image comique. D’un côté, la force massive du géant La Châtaigneraie ; de l’autre, la gracilité presque malingre d’un farfadet.

— Eh bien moi, je suis d’avis que M. de Jarnac a raison, reprit le dauphin, décidément nerveux. Mais ce n’est pas un duel d’honneur qu’il vous faut ; c’est un duel judiciaire27.

— Un duel judiciaire ?

— Et comment ! Il est temps que Dieu lui-même montre à certaines gens vers qui va sa préférence !

On applaudit de plus belle...

Et c’est ainsi que fut lancée l’idée inouïe d’un grand duel public entre deux adversaires à ce point inégaux.

Les Fils de France
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