Saint-Germain-en-Laye, appartement du roi.

La première décision du nouveau souverain avait été d’envoyer deux courriers, l’un vers Anet chez la grande sénéchale, l’autre vers Chantilly chez le connétable de France. Les deux « grands amis » étaient priés de le rejoindre à Saint-Germain, pour prendre les dispositions qui, d’entrée de jeu, s’imposaient.

Diane de Poitiers – elle s’était constamment tenue prête – arriva la première. Son éternelle tenue de deuil paraissait plus appropriée que de coutume, et elle y ajouta une mine grave et comme attendrie, fort éloignée du sentiment de pleine jubilation qui l’animait au fond.

— Sa Majesté vous recevra dans un instant, l’informa l’huissier d’un air de déférence plus marqué, lui sembla-t-il, qu’auparavant.

« Sa Majesté... » Diane exultait d’entendre cela. Depuis quelques heures, elle ne pouvait s’ôter de l’esprit le souvenir pourtant lointain de ce mage qui, jadis à Blois, un soir où l’on baignait les jeunes princes, lui avait prédit qu’Henri régnerait un jour... Elle y avait cru, et d’autant plus que le présage n’avait fait, alors, que renforcer en elle une préférence naturelle pour cet enfant plus sombre que ses frères et sœurs, plus solitaire aussi, et doté d’un plus fort caractère.

L’irruption du jeune roi interrompit ses rêveries. Diane amorça la grande révérence prescrite par l’usage, et Henri la laissa l’accomplir, pour le plaisir ; mais aussitôt après, plus assuré que jamais, presque souverain déjà, il posa ses lèvres sur celles de sa dame, de sa fée, de sa conscience même... Ils échangèrent un baiser intense.

— Vous allez être duchesse !

Diane sourit mais, reprenant digne contenance, elle tint à donner d’emblée le ton de la relation future.

— Il y a sans doute beaucoup plus urgent, dit-elle.

Et la grande sénéchale, fidèle à sa réputation, insista tout de suite sur la nécessité de réformer la Cour en profondeur, d’interdire le jeu, de limiter la dépense affectée aux toilettes, de veiller à la moralité de l’entourage du roi.

— Le précédent règne n’a que trop encouragé la luxure, asséna-t-elle.

C’est néanmoins le jeune roi qui aborda le vrai sujet, celui qui, depuis que l’on savait le roi mourant, occupait toutes les pensées de la sénéchale : le sort de la duchesse d’Étampes.

— Mon père avait renvoyé sa maîtresse deux jours avant sa mort, précisa-t-il.

— Mieux vaut tard que jamais.

Diane n’était pas, assurément, la mieux placée pour délivrer en la circonstance un brevet de moralité ; mais elle se comportait comme si, en tant que veuve, sa position nouvelle n’avait rien de commun avec celle qu’avait occupée, vingt ans durant, une Pisseleu vautrée dans l’adultère.

— Où est-ce qu’elle se terre, à présent ?

— Chez elle, à Limours... Enfin, « chez elle »... Je devrais dire : chez vous ! Car mon intention, vous le savez, est que vous récupériez Limours, ainsi du reste que Challuaud, Chevreuse et Dourdan, sans oublier l’hôtel de la rue Saint-Antoine.

Diane de Poitiers feignait d’être au-dessus de contingences qui, en vérité, l’obsédaient nuit et jour.

— Ne confondons pas la peine avec la sentence, dit-elle. Avant de confisquer, il faut déjà condamner ; or j’espère que vous allez lui demander des comptes, pour toutes ses trahisons infâmes.

— Certes, approuva le roi. Ainsi qu’à Longueval.

La grande sénéchale ne releva pas ; mais elle était au fait d’un accord secret, déjà passé entre le comte de Longueval et le cardinal de Lorraine, en vue d’épargner au dernier en date des amants de la duchesse, de trop lourdes poursuites.

— Ne croyez-vous pas, suggéra-t-elle, que la première chose à faire serait de replacer cette dévoyée sous la légitime tutelle de son époux ? Après tout, le duc d’Étampes est homme de bien...

Dans sa cruauté froide, Diane proposait ainsi, pour sa rivale malheureuse, la punition la plus retorse que l’on pût imaginer : restituer la dame à son cocu de mari haineux, pour qu’il pût se venger sur elle, tout à loisir, d’années sans fin de déshonneur public.

— Vous êtes terrible, remarqua le roi.

Mais il avait prononcé ce mot avec infiniment de tendresse.

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Quand on annonça l’arrivée du connétable de Montmorency, le visage du roi Henri s’illumina comme sous l’effet d’un charme.

— Qu’on le conduise à ses appartements ; c’est-à-dire ceux occupés jusqu’ici par madame d’Étampes, ordonna-t-il.

Cette information parut étonner Diane, mais elle évita de le montrer.

— Le confirmerez-vous dans sa charge de connétable ? demanda-t-elle.

Le roi fut surpris, à son tour, d’une question qui lui semblait appeler une réponse évidente.

— Et comment ! De surcroît, je vais rendre à notre ami toutes les fonctions que mon père lui avait ôtées.

La grande sénéchale était d’avis que c’était imprudent, et que le roi eût été bien inspiré de faire un peu lanterner le maréchal, en ne lui restituant ses différentes attributions qu’en temps utile, et une à une... Mais il était trop tard pour un tel avis.

Par la fenêtre grande ouverte, le souverain et son amie – sa « Dame », disait-il – observaient le connétable qui, à pied, traversait la grande cour ovale. Montmorency paraissait plus lourd, plus large que jamais. Ces six années d’exil – ou tout au moins de réserve – l’avaient assombri ; et son regard, quoique toujours aussi pénétrant, éclairait désormais le visage d’un homme vieilli.

— Ah, dit le roi, je ne puis attendre.

Et il courut à la rencontre de celui qu’il nommait son « Père »... Sans quitter la fenêtre, Diane de Poitiers soupira. Elle songeait à ce jeune maréchal que son défunt mari, Louis de Brézé, recevait jadis à Rouen pour lui prodiguer ses conseils... « Il ira très loin », disait-il. Si seulement il avait pu voir, réunies à Saint-Germain, les trois têtes du nouveau règne !

Montmorency fut ému de voir le roi venir à sa rencontre. Il lui fit sa première révérence, mais Henri – chose inhabituelle chez lui – le prit bonnement dans ses bras et le serra contre lui. Diane tendait l’oreille, mais elle ne put distinguer leurs propos. Soudain le roi désigna la fenêtre et le connétable, apercevant la grande amie, lui envoya une sorte de baiser.

— L’avons-nous attendu, ce moment ! cria-t-il.

— Mais nous n’espérions pas la mort du feu roi pour autant, rectifia-t-elle inutilement.

— Certes.

Ce que Diane n’aurait pu imaginer, c’est qu’Henri et son conseiller favori allaient s’enfermer deux heures durant dans une pièce, sans la convier aucunement, ni même se soucier d’elle !

Les Fils de France
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