L’optimisme est peut-être la meilleure arme que possède l’humanité. Sans lui, nous ne tenterions jamais l’impossible, ce qui - contre toute probabilité -mène parfois au succès.


Mère Commandante Murbella, discours aux Sœurs rassemblées.


Sans Oblitérateurs ni aucun moyen de naviguer, les vaisseaux des forces humaines flottaient dans l’espace telles des victimes prêtes à être sacrifiées sur l’autel, tout le long de la dernière ligne de défense qui avait été tracée.

À bord de son vaisseau amiral, la Mère Commandante Murbella lançait des ordres tandis que Gorus, l’Administrateur de la Guilde, exigeait des miracles de la part de ses subordonnés. Sur les écrans de la passerelle de navigation, Murbella vit les cuirassés des machines pensantes croiser les malheureux vaisseaux de l’Ordre Nouveau, en route pour aller détruire la planète du Chapitre. Cette même absence totale de combat devait se reproduire dans la centaine de positions occupées le long de la ligne de front, et les systèmes habités par les humains étaient désormais entièrement vulnérables. Murbella avait bel et bien perdu son pari.

Ce qui dominait ses pensées, c’était sa responsabilité à l’égard de l’humanité, envers ce qu’il restait de l’Ordre Nouveau… et envers son cher Duncan perdu depuis si longtemps. Était-il toujours vivant, se souvenait-il même encore d’elle  ? Cela faisait maintenant près de vingt-cinq ans… Murbella savait ce qu’elle devait faire - pour lui, pour elle, et pour tous ceux qui avaient survécu jusqu’ici à cette guerre épique.

Sans se laisser dominer par sa rage instinctive d’Honorée


Matriarche, Murbella se tourna brusquement vers Gorus. Elle agrippa l’Administrateur par le col et le secoua si fort que sa natte vint lui fouetter le visage.


— Quelles autres armes y a-t-il sur vos vaisseaux de la Guilde  ?

— Quelques missiles, Mère Commandante. Des charges explosives. De l’artillerie offensive classique… mais ce serait du suicide! Seuls les Oblitérateurs nous auraient permis de porter un coup fatal à l’Ennemi!

Elle le repoussa avec dégoût, et il tomba à terre.

— C’était déjà une mission suicide! Comment pouvez-vous être encore aussi lâche maintenant que nous n’avons plus le choix  ?

— Mais… mais, Mère Commandante… nous perdrions notre flotte, et nos vies!

— Manifestement, l’héroïsme ne fait pas partie de vos qualités premières. (Elle se tourna vers un assistant de la Guilde qui s’efforçait de se faire tout petit et, utilisant la puissance de la Voix pour faire bonne mesure, elle lui ordonna  :) Préparez le lancement des Oblitérateurs. Saturez l’espace environnant. Les saboteurs en ont peut-être oublié quelques-uns.

L’homme de la Guilde s’activa aux commandes des armes, en se souciant à peine de sélectionner des cibles. Il projeta dix Oblitérateurs, puis dix autres encore. Aucun n’explosa, et les vaisseaux robotiques continuèrent d’avancer.

À voix basse, Murbella dit  :

— Maintenant, lancez tous les missiles standard que nous possédons. Et quand nous aurons épuisé tout notre armement conventionnel, nous nous servirons de nos vaisseaux comme de béliers pour percuter les leurs.

— Mais pourquoi, Mère Commandante  ? protesta Gorus. Nous ferions mieux de battre en retraite et de nous regrouper plus tard, pour élaborer un autre plan d’attaque. Nous devons au moins survivre!

— De toute façon, si nous ne remportons pas la victoire aujourd’hui, nous ne survivrons pas bien longtemps. Nous avons beau être largement dominés en nombre, nous pouvons au moins détruire une partie de la flotte des machines. Je me refuse tout simplement à abandonner le Chapitre!

Gorus se remit péniblement debout.

— À quoi cela servira-t-il, Mère Commandante  ? Les machines se contenteront de remplacer leurs vaisseaux détruits.

Tandis qu’ils discutaient, d’autres Oblitérateurs furent déployés. Pour l’instant, aucun n’avait fonctionné.

— Cela servira à leur montrer que nous sommes encore capables de nous battre. C’est ce qui fait de nous des êtres humains, c’est ce qui nous donne un sens. L’Histoire n’aura pas à retenir que nous avons abandonné Chapitre pour aller nous cacher au moment de la grande confrontation finale entre l’humanité et les machines pensantes.


— L’Histoire  ? Qui restera-t-il pour l’écrire  ?


À trois minutes d’intervalle, six petits appareils équipés de générateurs Holtzman apparurent successivement dans la zone de combat au-dessus de Chapitre, venant des autres groupes de vaisseaux. Ils transmirent des messages urgents et demandèrent de nouvelles instructions à la Mère Commandante.


— Nos Oblitérateurs ne fonctionnent pas!

— Tous nos systèmes de navigation sont désactivés.


— Comment les combattre maintenant, Mère Commandante  ?

— Nous les combattrons avec tout ce que nous avons, répondit-elle avec assurance.

C’est alors qu’un immense éclair aveuglant engloutit une bonne cinquantaine de vaisseaux de l’Ennemi, les vaporisant instantanément en une prodigieuse gerbe de feu. L’onde de choc fut ressentie même à bord des vaisseaux de la Guilde les plus éloignés. Murbella retint son souffle, puis elle éclata de rire.

— Regardez! Un des Oblitérateurs fonctionnait encore! Lancez tout ce qui reste!

Mais à sa grande surprise, l’espace environnant se mit à scintiller et à se craqueler, dégorgeant soudain des centaines de vaisseaux géants. Ces appareils ne faisaient pas partie de la flotte de défense humaine.

Murbella crut tout d’abord que l’Ennemi avait envoyé une autre armada dévastatrice, mais elle reconnut rapidement le cartouche dessiné sur les coques incurvées. Des long-courriers de la Guilde! Jaillissant de toutes parts des replis de l’espace, ils encerclèrent la première vague massive de vaisseaux robotiques.

— Administrateur, pourquoi ne nous avez-vous rien dit  ? demanda Murbella d’une voix cassante. Il doit bien y avoir un millier de vaisseaux!


Gorus semblait aussi stupéfait qu’elle. Une voix de femme retentit à travers le réseau de communication qui reliait les défenseurs de Murbella.

— Je suis l’Oracle du Temps, et j’amène des renforts. Les compilateurs mathématiques ont corrompu de nombreux vaisseaux de la Guilde, mais ce sont mes Navigateurs qui pilotent ces long-courriers.


— Des Navigateurs  ? (L’Administrateur aux cheveux blancs semblait consterné.) Nous pensions qu’ils étaient tous morts, faute d’épice.

D’une puissante voix chantante, l’Oracle poursuivit  :

— Et mes vaisseaux - contrairement à ceux fabriqués par ces traîtres de manufacturants ixiens - possèdent un armement opérationnel complet. Nos Oblitérateurs fonctionnent parfaitement. Nous les avions pris sur d’anciens vaisseaux des Honorées Matriarches, et nous les avions cachés pour assurer notre propre défense. Nous comptons maintenant nous en servir.

Murbella sentit ses joues s’empourprer. Elle s’était toujours doutée que les Honorées Matriarches rebelles devaient posséder beaucoup plus d’Oblitérateurs que ce qu’on avait trouvé. Ainsi donc, les Navigateurs les avaient cachés pendant tout ce temps!

Réagissant à l’arrivée des renforts, la flotte d’invasion d’Omnius modifia sa formation, mais les machines étaient incapables de saisir l’ampleur et la puissance de l’étonnant adversaire auquel elles devaient maintenant faire face. Elles ne manœuvrèrent pas suffisamment à temps lorsque les long-courriers de l’Oracle crachèrent des boules de feu aveuglantes, provoquant une série d’explosions qui ressemblaient à des supernovae en miniature. Chaque éclair de lumière incandescente vaporisait des groupes entiers de vaisseaux de l’Ennemi, victimes d’une trop grande confiance dans leur supériorité.

Les forces robotiques tentèrent de se défendre en se dispersant, mais leur réaction se révéla inefficace, comme si les fonctions de contrôle des machines avaient été désactivées. Le suresprit avait préparé son plan méthodiquement, le révisant inlassablement et incorporant toutes sortes de stratégies pour différentes éventualités. Mais Omnius n’avait pas prévu celle-là.

— Les machines pensantes sont depuis longtemps mes ennemis jurés, déclara l’Oracle de sa voix spectrale.

Sous les yeux de Murbella, qui observait la scène avec une grande satisfaction, des Oblitérateurs parfaitement ciblés annihilaient d’innombrables vaisseaux de l’Ennemi. Si seulement les Honorées Matriarches s’étaient servies autrefois des armes qu’elles avaient volées contre les machines pensantes, quand il était encore temps! Mais ces femmes avaient toujours été incapables de faire front contre un ennemi commun. Elles avaient préféré conserver ces armes et en utiliser la puissance destructrice pour se battre entre elles, et anéantir des planètes rivales. Quel gâchis!

Les explosions qui se chevauchaient, chacune suffisamment forte pour embraser une planète, se succédaient sur le front de la flotte des machines. Une douzaine de long-courriers s’enfoncèrent plus profondément dans le système de Chapitre pour donner la chasse aux vaisseaux de l’Ennemi qui avaient déjà atteint l’orbite planétaire.

— Nous allons faire tout notre possible pour les autres planètes de votre ligne de défense, dit l’Oracle. Aujourd’hui, l’Ennemi va souffrir.

Murbella n’avait pas encore tout à fait pris conscience de ce qui se passait autour d’elle, lorsqu’elle constata que la vague initiale des forces robotiques n’était plus qu’un nuage de débris dispersés. Pour autant qu’elle pût en juger, les vaisseaux de guerre de l’Ennemi n’avaient même pas eu l’occasion de lancer un seul missile sur les défenseurs de l’humanité.

Quelques long-courriers disparurent brusquement, plongeant dans les replis de l’espace pour porter secours aux autres défenseurs de la dernière chance. Là, ils largueraient leurs Oblitérateurs et poursuivraient leur route pour d’autres combats contre l’Ennemi. Tout le long de la ligne de front, à chaque endroit où Murbella avait placé ses groupes de combattants, les Navigateurs frappaient, et disparaissaient aussitôt…

Murbella ordonna sèchement à l’Administrateur Gorus  :

— Ouvrez-moi un canal de communication! Comment peut-on parler à votre Oracle  ?

Gorus était abasourdi par la tournure des événements.

— On ne sollicite pas une audience auprès de l’Oracle. Personne n’a jamais pris l’initiative de la contacter.

— Elle vient juste de nous sauver la vie! Laissez-moi lui parler.

— Nous pouvons essayer, dit-il d’un air sceptique en faisant signe à l’un de ses assistants. Mais je ne vous promets rien.

L’homme en robe grise s’activa sur le tableau de contrôle des communications, jusqu’à ce que Murbella l’écarte d’un coup d’épaule.

— Oracle du Temps… qui que vous soyez! Joignons nos forces pour éradiquer les machines pensantes.

Pour toute réponse, il y eut un long silence, pas même un bruit de fond, et Murbella céda au découragement. Gorus lui lança un regard plein de suffisance, comme s’il avait su parfaitement qu’il en serait ainsi. La Mère Commandante vit alors arriver une deuxième vague d’assaut des machines pensantes, maintenant que leur attaque initiale avait été repoussée. Et cette fois-ci, les vaisseaux de l’Ennemi n’allaient pas s’abstenir de tirer pour se moquer des humains…

— D’autres machines arrivent…

— Je dois partir, annonça l’Oracle tandis que les long-courriers commençaient à disparaître l’un après l’autre comme des bulles de savon qui éclatent. Mon combat principal va se dérouler sur Synchronie.

— Attendez! cria Murbella. Nous avons besoin de vous!

— On a besoin de nous ailleurs. Ce n’est pas ici que Kralizec doit se conclure. J’ai enfin repéré le non-vaisseau où se trouve Duncan Idaho, ainsi que la localisation secrète d’Omnius. Je dois maintenant m’y rendre pour mettre fin à tout ceci en détruisant le suresprit. Pour toujours.

Murbella chancela un instant en entendant cette nouvelle inattendue. On a retrouvé le non-vaisseau  ? Duncan est vivant!

Quelques instants plus tard, le dernier long-courrier disparut dans les replis de l’espace, laissant la Mère Commandante et ses vaisseaux affronter seuls la vague d’assaut. Les machines pensantes continuaient d’approcher en masse.


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