Synchronie est plus qu’une machine, plus au ‘une métropole; c’est l’extension du suresprit lui-même. Elle se déplace et se transforme sans cesse en d’autres configurations. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une tactique défensive, mais cela semble impliquer une autre force, une étincelle créatrice surprenante. Ces machines sont extrêmement bizarres.


Baron Vladimir Harkonnen, le ghola.


La métropole qui s’étalait sous leurs yeux était belle à sa façon, industrielle et métallique  : des angles aigus et des courbes lisses, et une débauche d’énergie lorsque ses structures se déplaçaient en étincelant, comme une gigantesque machine parfaitement réglée. Des bâtiments anguleux et des tours sans fenêtres couvraient chaque mètre carré. Le Baron n’apercevait aucune verdure repoussante, pas de fleurs ni de paysages bariolés, pas une feuille ni le moindre brin d’herbe.

Synchronie était un symbole trépidant de productivité, ainsi que des profits et du pouvoir politique qui pourraient en résulter si les machines pensantes venaient à s’intéresser un jour à ce genre de choses. Vladimir Harkonnen aurait peut-être l’occasion de montrer à Omnius comment s’y prendre.

Après le long voyage qui les avait amenés de Caladan, le Baron et Paolo prirent un tram pour se rendre au centre de la cité des machines en perpétuelle transformation. Le ghola Atréides avait le nez collé à la vitre, ouvrant de grands yeux pleins de curiosité. Ils étaient entassés dans le compartiment avec une escorte de huit Danseurs-Visages. Le Baron n’avait jamais compris la nature du lien qui unissait les changeurs de forme à Omnius et au nouvel Empire Synchronisé. Le tram aérien suivait un câble énergétique invisible, sifflant entre les bâtiments comme une balle de fusil.

Tandis qu’ils pénétraient plus profondément dans la ville, d’immenses édifices montaient, descendaient ou se déplaçaient de côté ainsi que des pistons, menaçant d’écraser le tram au passage. Le Baron remarqua que lorsque ces bâtiments à moitié vivants se mettaient à onduler comme des herbes robotiques, les Danseurs-Visages bougeaient à l’unisson, un sourire placide sur leur visage cadavérique, comme s’ils participaient à une sorte de ballet.

Telle une aiguille passant par une série complexe de trous, le tram se dirigea vers une immense tour qui se dressait au centre de la cité comme un éperon émergeant des mondes souterrains. Le véhicule finit par s’arrêter en cliquetant au milieu d’une esplanade spectaculaire.

Dévoré de curiosité, Paolo se faufila hors de la cabine. Malgré l’incertitude et la crainte qui lui rongeaient les entrailles, le Baron s’émerveilla du spectacle des nombreux bûchers allumés à des emplacements d’une précision géométrique autour de la grande tour, et sur lesquels des humains étaient attachés à des poteaux comme les martyrs de l’Antiquité. Manifestement, au cours de leurs conquêtes, les machines s’étaient procuré des sujets d’expérience. Le Baron eut le souffle coupé devant une telle extravagance. Ces robots semblaient avoir vraiment beaucoup de potentiel, et une imagination débordante.

Il se mit à songer à l’immense flotte de robots sillonnant méthodiquement, toujours plus profondément, l’espace colonisé par les humains. D’après ce que Khrone lui avait expliqué, quand les machines pensantes auraient enfin obtenu un Kwisatz Haderach obéissant à leurs ordres, Omnius croyait que les termes de la prophétie mécanique seraient satisfaits et que sa défaite deviendrait impossible. Le Baron s’amusait de voir comme ces machines pensantes considéraient le monde en termes d’absolus. On aurait pu penser qu’après quinze mille ans, elles auraient acquis un peu plus de subtilité…

Paolo s’était laissé entraîner dans un tourbillon de mégalomanie. Il revenait au Baron d’alimenter ce délire, tout en gardant à l’esprit qu’il était lui-même dans une situation dangereuse. Il fallait qu’il reste concentré et vigilant. Ne sachant pas ce qui l’attendait, la gloire ou une mort ignominieuse, le Baron s’entendait sans cesse rappeler qu’il n’était qu’un catalyseur pour Paolo. D’une importance secondaire… Ah oui, vraiment  ?

Alia émergea du fond de sa conscience pour l’interrompre et l’assurer que les machines se débarrasseraient simplement de lui une fois sa tâche accomplie. Quand il protesta avec véhémence, elle hurla  : Tu vas nous faire tuer, Grand-père! Repense à ta première vie… tu n’as pas toujours été un imbécile aussi crédule!

Le Baron secoua vigoureusement la tête pour essayer de la chasser de son esprit. Cette Alia qui le tourmentait était peut-être l’effet d’une tumeur appuyant sur une zone cognitive de son cerveau. La petite Abomination était profondément retranchée à l’intérieur de son crâne. Un chirurgien robot pourrait peut-être l’extirper de là…

Les Danseurs-Visages leur firent traverser une plate-forme d’où ils descendirent sur la place. Tout étourdi, Paolo se mit à courir en dansant de joie.

— Tout ça est à moi  ? Où est ma salle du trône  ? (Il se retourna vers le Baron.) Ne te fais pas de souci - je te trouverai une place parmi mes courtisans. Tu as été bon pour moi.

Était-ce là une dernière trace de l’honneur des Atréides  ? Le Baron fronça les sourcils.

Les Danseurs-Visages le poussèrent vers un tube élévateur, tandis que Paolo s’y engageait de lui-même. Mais au heu de monter au sommet de la tour, comme le Baron s’y était attendu, l’ascenseur plongea en chute libre vers les entrailles de l’enfer. Réprimant son envie de hurler, le Baron dit  :

— Si tu es vraiment le Kwisatz Haderach, Paolo, tu devrais peut-être apprendre à utiliser tes pouvoirs… maintenant!

Le garçon se contenta de hausser les épaules. Il ne semblait pas avoir conscience du danger de leur situation.

Sans la moindre secousse, la cabine s’arrêta et ses parois disparurent aussitôt, révélant une immense salle souterraine. Comme à l’extérieur, rien ne semblait rester en place. Les murs pivotants et le sol en cristoplaz donnèrent le tournis au Baron, comme s’il se trouvait dans le vide de l’espace.

Une brume s’éleva et se solidifia en un fantôme sans visage, deux fois plus grand qu’un homme normal. La forme brumeuse s’arrêta devant eux et agita les bras, déplaçant un air glacé qui sentait le métal et l’huile. Deux yeux brillants apparurent, et une voix grave se fit entendre  :

— Ainsi donc, voici notre Kwisatz Haderach.

Paolo releva le menton et récita ce que le Baron lui avait appris, en y mettant un ton passionné  :

— Je suis celui qui saura voir toutes choses en tous lieux à la fois, celui qui guidera les multitudes. Je suis le raccourci du chemin, le sauveur, le messie, celui dont on parle dans les légendes innombrables.

Des paroles s’écoulèrent de la brume.

— Tu possèdes un charisme que je trouve fascinant. Les humains manifestent une tendance irrésistible à suivre ceux qui possèdent charme et beauté. Convenablement manié, tu pourrais constituer pour nous un outil de destruction efficace. (La créature impalpable éclata de rire, créant un tourbillon glacé autour d’elle. Puis elle braqua ses yeux surnaturels sur le Baron.) Vous veillerez à ce que le garçon soit coopératif.

— Oui, bien sûr. Etes-vous Omnius  ?

— Je parle au nom du suresprit. (La brume s’agita et se transforma en un robot aux surfaces polies, un large sourire menaçant sculpté sur le visage.) Pour des raisons de commodité, je me suis donné le nom d’Erasmus.

Les murs se déplacèrent ainsi qu’un kaléidoscope, laissant apparaître des centaines de robots de combat postés tout autour de la salle, tels d’étranges scarabées. Leurs yeux métalliques scintillaient avec une même hostilité.

— Je devrais peut-être vous interroger maintenant… ou plus tard, peut-être  ? L’indécision est un trait particulièrement humain, vous savez. Mais nous avons tout le temps devant nous. (Le sourire du robot était bien en place sur son visage de platine.) Ah, j’adore vos expressions toutes faites…


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