Dieu est Dieu, et Il est le seul à pouvoir donner la vie. Si Dieu Lui-même n’a pas la force de survivre, il ne nous reste plus que le désespoir.


Écrits cryptiques de la Charia.


Chaque exploration de Rakis aboutissait au même constat. Seules des poches insignifiantes de l’écosystème avaient survécu. La planète était déserte et hantée, mais elle semblait pourtant manifester son propre désir de vivre. Contre toutes probabilités, et comme un défi à la science, Rakis s’accrochait encore à son atmosphère ténue et à ses dernières traces d’humidité.

Les prospecteurs endurcis de Guriff avaient accepté avec joie les provisions que Waff et ses assistants de la Guilde leur avaient offertes en témoignage d’amitié. La motivation première de Waff avait été de s’assurer que ces hommes le laisseraient tranquille pour mener ses innocentes « investigations géologiques ». A intervalles irréguliers, des vaisseaux du CHOM venaient les ravitailler et faire le point sur leurs recherches, mais Guriff ignorait quand le prochain devait venir. Le Maître du Tleilaxu disposait de suffisamment de nourriture pour tenir des années, pour autant que son organisme détérioré puisse survivre aussi longtemps.

Par-dessus tout, il fallait qu’il s’occupe de ses vers.

Ainsi qu’il l’avait espéré, les prospecteurs passaient leurs dures journées et leurs nuits à se concentrer sur leurs propres excavations, dans l’espoir de trouver la cache de mélange légendaire du Tyran. Des petits appareils de reconnaissance spécialement équipés bravaient le climat hostile des régions polaires, chargés de capteurs et de sondes, tandis que les hommes effectuaient des forages d’exploration dans leur vaine recherche de traces d’épice.

L’immense caisson provenant du long-courrier d’Edrik avait contenu un véhicule à large châssis capable d’affronter les terrains les plus difficiles. Une fois les prospecteurs partis, Waff appela les quatre hommes de la Guilde pour qu’ils viennent l’aider. À l’abri des regards curieux, ils chargèrent péniblement les grands bacs remplis de sable à bord de l’engin. Waff s’apprêtait à effectuer un pèlerinage dans le désert carbonisé et vitrifié qui avait été autrefois un océan de dunes.

— Je relâcherai les spécimens moi-même. Je n’ai pas besoin de vous. (Il ordonna à ses assistants de retourner dans leurs tentes de survie.) Restez ici et préparez notre nourriture - et assurez-vous de respecter scrupuleusement les rites appropriés. (Il leur avait donné des instructions précises sur les techniques à utiliser.) Une fois que j’aurai libéré les vers, j’ai l’intention de revenir ici pour fêter l’événement.

Il ne voulait pas que Guriff et ses prospecteurs, ni ces hommes de la Guilde en qui il n’avait aucune confiance, puissent participer à un moment aussi intime et sacré. Aujourd’hui, il allait ramener le Prophète sur Rakis, sur la planète où était Sa place. Vêtu d’une combinaison de protection, il tapa les coordonnées et se mit en route avec les deux grandes cuves de sable à l’arrière de son véhicule, droit vers l’est dans l’aube orangée.

Ici, le paysage était maculé, érodé et presque méconnaissable, mais Waff savait exactement où il allait. Avant de venir sur Rakis, il avait exhumé des cartes très anciennes qu’il avait dû soigneusement recalibrer en orbite, car le champ magnétique de la planète avait été modifié par les Oblitérateurs des Honorées Matriarches. Il y avait de cela bien longtemps, le Messager de Dieu l’avait transporté jusqu’au Sietch Tabr. Les vers devaient le considérer comme sacré, et Waff ne voyait pas de meilleur endroit pour relâcher ses créatures modifiées et renforcées. C’est là qu’il se rendait à présent.

La lumière diffuse du ciel chargé de poussière peignait le sol vitrifié de couleurs étranges. Dans les cuves derrière lui, Waff entendait les vers s’agiter et se cogner contre les parois, impatients de parcourir le désert immense. Chez eux, enfin…

Lorsqu’il était encore à bord du long-courrier, Waff avait pu observer les créatures et mesurer leur taux de croissance en laboratoire. Il savait que les vers étaient dangereux, et que leur séjour prolongé dans ces cuves trop étroites sapait leurs forces. Même dans des conditions parfaitement contrôlées, il avait été incapable de reconstituer leur environnement optimal, et les spécimens s’étaient affaiblis. Les choses n’allaient pas aussi bien qu’il l’aurait souhaité.

Mais il était plein d’espoir. Maintenant qu’il était sur place, tout irait bien. Rakis, la Planète Sacrée! Il ne pouvait qu’espérer que ce monde de dunes blessé saurait fournir ce qu’un Maître du Tleilax n’avait pu faire, un atout intangible pour les vers, pour le Prophète.

Lorsque Waff atteignit la plaine et vit les rochers fondus, il lui revint en mémoire la chaîne de montagnes qui avait protégé le tombeau souterrain de la cité des Fremen. Une croûte vitrifiée - des particules de roche transformées en verre par les explosions d’armes incompréhensibles - recouvrait désormais ce qui avait été autrefois une immense étendue de sable. Mais les vers sauraient ce qu’ils avaient à faire.

A l’arrière du véhicule, Waff ferma un instant les yeux pour adresser une prière à son Dieu et à Son Prophète. Puis il retira les parois de cristoplaz et laissa le sable se déverser. De longues formes serpentines s’échappèrent des cuves, tels des ressorts qui se détendent, et se répandirent sur le sol. Waff observa avec étonnement les anneaux épais de leurs corps et la fluidité de leurs mouvements.


— Va, Prophète! Reprends possession de ta planète! Huit vers glissèrent sur le sol lisse. Huit, un chiffre sacré pour les Tleilaxu.


Les créatures enfin libres s’égaillèrent dans toutes les directions, sous les yeux émerveillés de Waff. Il espérait qu’ils sauraient percer le sable vitrifié afin de creuser des tunnels dans le sous-sol plus tendre, ainsi qu’il l’avait prévu. Chacun des spécimens avait un petit traceur implanté dans le corps, qui lui permettrait de suivre leurs déplacements et de poursuivre ses recherches.

Soudain, les vers rebroussèrent chemin et commencèrent à tourner autour du véhicule en se rapprochant toujours davantage. Comme des chasseurs. Dans un réflexe de peur, Waff se figea. Les vers étaient certainement assez gros pour pouvoir l’attaquer et le tuer.

— Prophète, ne me fais pas de mal. Je t’ai ramené sur Rakis. Tu es libre à présent d’en faire de nouveau Ton royaume.

Les vers dressèrent leurs têtes aveugles et se mirent à osciller. Essaient-ils de me communiquer un message  ? Waff s’efforça de le comprendre.

Ces mouvements hypnotiques étaient-ils une sorte de danse  ? Ou une manœuvre de prédateur  ? Il resta immobile et attendit.

Si cet environnement était trop hostile pour eux, si le Prophète avait besoin de le dévorer pour survivre, Waff était parfaitement prêt à offrir la chair de son corps en dégénérescence. Si ce devait être la fin, qu’il en soit ainsi.

Soudain, comme répondant à un signal silencieux, les vers firent demi-tour d’un même mouvement et s’éloignèrent rapidement, leurs anneaux épais raclant la surface des dunes de verre. Ils s’arrêtèrent un peu plus loin, et brisèrent la croûte épaisse d’un coup de leur tête puissamment armée. Ils plongèrent aussitôt, creusant leurs tunnels dans les sables stériles des profondeurs. Le retour dans le désert! Waff sentit sa poitrine se gonfler de joie. Il savait qu’ils survivraient.

En retournant à son véhicule, il se rendit compte qu’il avait les larmes aux yeux.


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