En nous conformant toujours aux mêmes croyances et en prenant toujours les mêmes décisions, nous tournons en rond sur le chemin de la Vie, sans aller nulle part, sans rien accomplir, sans jamais progresser. Mais avec l’aide de Dieu, nous pouvons sortir du cercle et parvenir à l’Illumination.


Écrits occultes de la Charia.


Waff était enfin prêt à relâcher ses nouveaux vers, et Buzzell était une planète océanique commode pour cela, située qu’elle était sur la tournée commerciale habituelle d’Edrik. Un site parfait pour l’expérimentation.

Le vaisseau géant transportait des négociants en gemmones. Précédemment, lorsque les Honorées Matriarches avaient conquis Buzzell et tué la plupart des Révérendes Mères qui y vivaient en exil, les catins s’étaient approprié la fortune que représentaient les gemmones. Depuis lors, peu de ces précieux joyaux s’étaient échangés sur le marché galactique, et leur valeur était montée en flèche. Maintenant que l’Ordre Nouveau avait repris le contrôle de la planète, la production était remontée à un bon niveau. Les sorcières veillaient efficacement aux opérations et tenaient les contrebandiers à distance, de sorte que le prix des pierres précieuses était maintenant stabilisé, quoique encore élevé. Protégés par des troupes de mercenaires, les marchands du CHOM avaient commencé à en vendre de grandes quantités et engrangé des bénéfices substantiels avant que l’abondance de l’offre ne fasse baisser de nouveau les prix. Une fluctuation temporaire du marché.

Les gemmones étaient belles et désirables, mais elles n’étaient pas indispensables. Par contre, le mélange, lui, était vital, comme le savaient si bien les Navigateurs. Et Waff savait que ses expériences finiraient par produire infiniment plus de richesses que ces babioles sous-marines pourraient jamais rapporter. Bientôt, si ses espoirs se concrétisaient, Buzzell servirait à bien autre chose que fournir des colifichets…

Le long-courrier apparut au-dessus du monde d’azur liquide, dont la surface était ponctuée de minuscules îlots. Les océans de Buzzell étaient profonds et fertiles, une large zone où les vers génétiquement modifiés pourraient prospérer, à condition qu’ils survivent à leur baptême initial.

Le Maître du Tleilax arpentait le sol métallique de son laboratoire. Edrik le préviendrait dès que les navettes commerciales et les vaisseaux de transport auraient quitté le long-courrier pour rejoindre les stations sur les îles. Une fois qu’ils seraient partis, Waff pourrait entreprendre sa véritable tâche à l’abri des regards indiscrets.

Dans le laboratoire, des odeurs de sel, d’iode et de cannelle avaient remplacé les émanations acres des produits chimiques. Les cuves expérimentales de Waff étaient remplies d’une eau verdâtre, riche en algues et en plancton. Une fois relâchés dans les océans, les vers modifiés seraient obligés de trouver leurs propres sources de nourriture, mais Waff était certain qu’ils sauraient s’adapter. Dieu y pourvoirait.

Telles des anguilles annelées, des formes serpentines ondulaient dans les cuves. Leurs segments étaient d’un bleu turquoise iridescent, laissant apparaître entre les anneaux une membrane rose plus tendre qui jouait le rôle d’ouïe leur permettant d’absorber l’oxygène de l’eau. Leur bouche était ronde comme celle des lamproies. Bien que dépourvus d’yeux, les nouveaux vers marins savaient naviguer à l’aide des vibrations dans l’eau, tout comme les vers de Rakis étaient attirés par les tremblements du sable des dunes. Grâce à des modèles soigneusement adaptés de chromosomes des truites des sables, Waff savait que ces créatures possédaient les mêmes réactions métaboliques que celles des vers des sables traditionnels.

Par conséquent, ils devaient être également capables de produire de l’épice, mais Waff ignorait de quelle nature elle serait, et comment on pourrait la récolter. Il s’écarta des cuves et joignit ses doigts grisâtres. Ce n’était pas son problème. Il avait fait ce qu’Edrik lui avait demandé. Le Navigateur voulait simplement que les vers soient recréés.

Il lui avait fallu plus d’un an de sa vie accélérée, mais si Waff parvenait à ressusciter les messagers de Dieu, sa destinée serait accomplie. Même s’il ne devait jamais retrouver une autre existence de ghola, il aurait mérité sa place au côté de Dieu au plus haut niveau du Paradis.

Placés dans des conditions convenables, les spécimens de truites des sables s’étaient rapidement multipliés. Waff les avait adaptés pour obtenir une centaine de vers marins, dont il relâcherait la plupart dans les océans de Buzzell. Les créatures allaient affronter une épreuve considérable, car il est difficile pour une nouvelle espèce de survivre, surtout dans un environnement aussi inhabituel. Waff s’attendait à ce qu’un bon nombre de ses spécimens expérimentaux périssent. Peut-être la plus grande partie d’entre eux. Mais il était également convaincu que quelques-uns survivraient - suffisamment longtemps pour s’implanter dans ce milieu.

Waff se hissa sur la pointe des pieds et pressa son visage contre la paroi de la cuve.

— Prophète, si Tu es là, je Te donnerai bientôt un nouveau domaine.

Cinq assistants de la Guilde entrèrent sans frapper. Quand Waff se retourna brusquement, les vers marins perçurent son mouvement et leurs têtes charnues vinrent frapper la vitre. Surpris, Waff se tourna de nouveau vers eux.

— Les passagers ont débarqué pour se rendre sur Buzzell, dit l’un des hommes en gris. Le Navigateur Edrik nous a ordonné de suivre vos instructions.

Les cinq hommes avaient une tête bizarrement déformée, un front protubérant et des traits asymétriques. N’importe quel Maître du Tleilax aurait pu remédier à ces déficiences génétiques pour que leurs descendants soient physiquement plus attractifs. Mais cela n’apporterait rien d’utile, et Waff ne s’intéressait pas aux apparences.

D’un geste, il désigna les cuves aux hommes de la Guilde, qui entreprirent de les recouvrir pour le transport.

— Soyez d’une extrême prudence. Ces créatures valent bien plus que vos vies.

Les assistants fixèrent des poignées sur les cuves remplies de vers, et commencèrent à les transporter dans les coursives incurvées du long-courrier. Sachant qu’il ne disposait que de quatre heures pour terminer son travail avant le retour des navettes, Waff leur enjoignit de se dépêcher.

Suite au schisme intervenu au sein de la Guilde entre les Navigateurs et les Administrateurs, certains groupes pourraient ne pas souhaiter qu’il crée cette nouvelle source d’épice. Les


Ixiens, l’Ordre Nouveau, et même la faction bureaucratique de la Guilde, pourraient vouloir l’assassiner, chacun de son côté ou en se liguant. Waff ne savait pas pourquoi ni comment ces hommes avaient été désignés pour l’aider. S’il exprimait un doute quelconque à leur sujet, il savait que le Navigateur n’hésiterait pas à les faire tuer tous les cinq, uniquement pour satisfaire son chercheur tleilaxu. Tandis que le groupe s’approchait d’un petit appareil de transport, Waff décida que c’était exactement ce qu’il ferait. Il se débarrasserait de ces hommes, de ces témoins. Une fois l’opération terminée…


Les assistants chargèrent les cuves à bord de l’appareil. En temps normal, Waff ne quittait pas le périmètre sécurisé du long-courrier, mais cette fois, il insista pour les accompagner jusqu’à la surface de la planète. Cette expérience était la sienne, et il voulait y assister en personne pour s’assurer que les vers seraient relâchés correctement. Il n’avait pas confiance dans la compétence ni dans la vigilance de ces hommes de la Guilde.

C’est alors que ses soupçons se renforcèrent. Qu’est-ce qui pourrait empêcher ces hommes de s’enfuir et de révéler l’existence des vers - ou même de les vendre! - à l’une des factions adverses  ? Étaient-ils d’une loyauté parfaite à l’égard d’Edrik  ? Waff voyait le danger partout.

Alors que le transporteur quittait la soute du vaisseau, Waff se dit, un peu tard, qu’il aurait dû exiger des gardes du corps supplémentaires, ou à tout le moins une arme personnelle puissante. À qui pouvait-il réellement se fier  ?

Au moyen d’appareils connectés à leur gorge, les hommes de la Guilde communiquaient en silence par voie électronique, en se transmettant directement des signaux émis par le cerveau. Waff les savait capables de s’exprimer à voix haute - pourquoi donc avaient-ils besoin d’une méthode aussi secrète  ? Ils étaient peut-être en train de comploter contre lui. Il regarda le long-courrier, loin au-dessus de lui, et fit une prière pour que tout cela se termine bientôt.

Le petit appareil traversa la couche de nuages en luttant contre les turbulences. Waff sentit la nausée monter en lui. Ils finirent par émerger au-dessus de l’océan qui s’étendait à perte de vue jusqu’à l’horizon. Waff consulta les cartes affichées sur les écrans de la cabine, à la recherche d’une zone tempérée où il pourrait larguer les vers expérimentaux, un endroit où la mer serait riche en plancton et en poissons. C’est ce qui donnerait à ses créatures les meilleures chances de survie.

Il désigna une barre rocheuse non loin de la base principale des Sœurs, le centre de leurs opérations de récolte des gemmones.

Là-bas. L’endroit est sûr, et suffisamment proche pour nous permettre d’observer l’évolution des vers. (Il sourit en imaginant déjà les premiers rapports des témoins paniques.) Il sera intéressant d’entendre les rumeurs et les folles histoires.

Concentrés sur leurs tâches, les hommes de la Guilde hochèrent simplement la tête. L’appareil de transport descendit au ras des flots et se mit en sustentation au-dessus de la houle légère. La trappe de la soute inférieure s’ouvrit et Waff descendit pour surveiller les opérations de vidange des cuves. Il sentit l’odeur salée de l’air, celle plus puissante du varech flottant à la surface, et la brise humide vint frapper son visage. Un grain se préparait.

À l’aide des poignées, deux des assistants silencieux portèrent la première cuve jusqu’à l’ouverture, en retirèrent le couvercle de cristoplaz et en déversèrent le contenu, précipitant les vers marins frétillants dans les vagues où les attendait la liberté.

Les créatures jaillirent comme des serpents frénétiques. Une fois immergées dans les flots verts, elles s’éloignèrent à vive allure. Waff regarda leurs corps striés onduler, puis il les vit plonger et disparaître. Les vers semblaient exulter d’avoir recouvré la liberté, heureux de ne plus être limités par des parois de cristoplaz.

Il fit un geste brusque pour signifier aux hommes de la Guilde qu’ils vident les autres aquariums afin de libérer tous les vers. Waff avait conservé à bord du long-courrier une cuve remplie de spécimens, et il pourrait toujours en créer d’autres si nécessaire.

Debout devant le panneau ouvert, il se mit soudain à frissonner en se rendant compte à quel point il était vulnérable. Maintenant qu’il avait relâché les vers, Edrik avait-il encore besoin de ses services  ? Le Tleilaxu craignait que ses assistants silencieux ne le précipitent par-dessus bord, et qu’il ne se retrouve ainsi flottant à des kilomètres de la terre la plus proche. Prudemment, il recula au fond de la soute et s’agrippa à une barre métallique fixée à la paroi.

Mais les hommes de la Guilde ne tentèrent rien contre lui, se contentant d’effectuer leurs tâches exactement comme il le leur avait demandé, et conformément aux instructions précises du Navigateur. Les craintes de Waff étaient peut-être simplement dues au fait qu’il avait l’intention de faire exécuter ces hommes. Il était naturel de les soupçonner de vouloir lui faire la même chose.

Waff s’attendait à ce que les vers prospèrent dans cet environnement qui convenait bien à leur croissance et à leur reproduction. Ils commenceraient par marquer leur territoire, puis ils grossiraient jusqu’à devenir des léviathans des profondeurs. Une forme appropriée pour le Prophète.

Le panneau de la soute se referma dans un sifflement sourd, et le pilote de la Guilde fit remonter l’appareil. Waff et ses assistants auraient rejoint le long-courrier bien avant le retour des navettes des marchands chargées de gemmones. Personne ne saurait ce qui venait de se passer.

Le Maître du Tleilax jeta un coup d’œil par le hublot de cristoplaz pour contempler les vagues qui s’éloignaient. Il ne vit aucun signe des vers marins, mais il savait qu’ils étaient là, quelque part.

Il poussa un soupir de satisfaction, confiant dans le retour de son Prophète.


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