Nous affronterons l’Ennemi, et nous mourrons si nous devons mourir. Cela étant, je préfère nettement tuer ce que nous devons tuer.


Mère Commandante Murbella, message transmis aux forces humaines de défense.


Dix mille vaisseaux de la Guilde contre une infinité de vaisseaux de l’Ennemi.

Pour cette confrontation, la Mère Commandante avait dûment préparé tous les seigneurs de la guerre, dirigeants politiques et autres généraux autoproclamés, ainsi que ses Sœurs implacables - ce qu’il en restait. Déployés en travers du chemin des forces robotiques, ses défenseurs humains établirent leurs positions.

Des hommes de la Guilde avaient été dépêchés à la dernière minute pour compléter les équipages de nombreux vaisseaux et les conduire aux points de rendez-vous prévus dans l’espace. Les commandants militaires novices, formés par Murbella, étaient aussi prêts qu’il était possible de l’être. Venus de planètes déjà écrasées sous la botte des machines, tels des soldats fantômes, des réfugiés aux yeux rougis s’étaient massivement portés volontaires. Chaque appareil était chargé d’Oblitérateurs produits par les usines ixiennes.

Malheureusement, Omnius avait eu des siècles pour se préparer.

Telle une force de la nature, la flotte des machines pensantes avançait, sans jamais dévier de sa trajectoire, sans se soucier de la puissance des défenses planétaires qui lui étaient opposées. Les machines écrasaient simplement tout ce qui se trouvait sur leur chemin.

Pour que le plan de Murbella puisse réussir, il fallait stopper les vaisseaux de l’Ennemi en chaque point de la ligne de front, dans chaque système solaire. Aucune bataille locale ne serait secondaire. Elle avait réparti ses défenseurs en une centaine de flottilles comportant chacune cent nouveaux vaisseaux de guerre de la Guilde. Ces groupes de combat étaient positionnés en une multitude de points dispersés en dehors des systèmes habités, prêts à repousser l’Ennemi qui approchait.

Constituant la dernière ligne de défense, cent nouveaux vaisseaux de Murbella patrouillaient dans l’espace à proximité de Chapitre, avec un certain nombre d’appareils plus anciens en renfort. Elle savait qu’Omnius considérait la planète comme un objectif prioritaire. En attendant l’heure de vérité, la Mère Commandante observait ses vaisseaux, qu’elle trouvait magnifiques. Ils formaient une ligne redoutable, et les combattants à bord attendaient la confrontation avec plus d’assurance que de crainte.

Mais d’après les estimations de l’Ordre Nouveau, les machines pensantes les dominaient à plus de cent contre un.

Pour renforcer leur moral, les combattants avaient regardé les holos montrant les essais des nouveaux Oblitérateurs réalisés par les Ixiens sur Richèse, la planète morte. Ils avaient pu admirer la force destructrice de ces armes puissantes. Des observatrices du Bene Gesserit avaient surveillé les chaînes de production ixiennes, et des techniciens avaient contrôlé les armes complexes après leur installation dans la flotte de Murbella. Elle se raccrochait à l’espoir que cette dernière ligne de défense saurait mettre en déroute les forces d’Omnius.

Plus que jamais, la Mère Commandante aurait aimé avoir de nouveau Duncan Idaho à ses côtés pour cette bataille finale. Ressentant la solitude du chef, elle fut tentée un instant de se plier aux superstitions humaines et d’adresser une prière à quelque ange gardien invisible, mais elle se ressaisit.


Il faut que ce plan réussisse!


Ses énormes vaisseaux patrouillaient aux limites de l’orbite planétaire, sans savoir d’où la flotte ennemie allait venir. Sur Chapitre, dans les camps temporaires établis sur les continents dévastés par l’épidémie de peste, les réfugiés avaient hâte de pouvoir quitter la planète. Mais quand bien même il y aurait eu des vaisseaux pour les transporter, ils n’avaient nulle part où aller. Chaque appareil en état de fonctionner avait été réquisitionné pour affronter les machines pensantes. L’humanité avait rassemblé tout ce qu’elle pouvait.

— Vaisseaux ennemis en approche, Mère Commandante, dit l’Administrateur Gorus en recevant un message sur la console de capteurs.

Sa natte de cheveux blancs semblait quelque peu défaite, et son teint était encore plus pâle que d’habitude. On l’avait persuadé de rester à bord du vaisseau amiral sur le champ de bataille principal, une sorte de garantie des nouveaux vaisseaux que ses usines avaient produits. Cette situation ne semblait pas particulièrement lui plaire.

— Exactement comme nous l’avions prévu, dit Murbella. Déployez nos vaisseaux pour obtenir la zone de tir la plus large possible. Nous devons frapper l’Ennemi d’un seul coup avant qu’il ne puisse réagir. Les machines ont beau être adaptables, elles sont rarement capables de gérer l’imprévisible.

Gorus la regarda avec aigreur.

— Est-ce une évaluation basée sur les archives anciennes, Mère Commandante  ? Une extrapolation de la façon dont Omnius réagissait il y a quinze mille ans  ?

— Oui, dans une certaine mesure, mais je fais confiance à mes instincts.

L’approche des vaisseaux robotiques puissamment armés évoquait une pluie de météores. Les appareils monstrueux étaient des milliers contre la malheureuse centaine que possédait l’Ordre Nouveau. Tout le long de la ligne défensive, dans une centaine de systèmes solaires, Murbella savait que les combattants humains devaient faire face à la même situation d’infériorité.

— Préparez-vous à lancer les Oblitérateurs. Arrêtez l’Ennemi avant qu’il n’ait pu se rapprocher de Chapitre.

Murbella se croisa les bras sur la poitrine. À travers l’intercom, chaque capitaine confirma qu’il était prêt.

Les vaisseaux des machines ralentirent, comme si elles étaient curieuses de savoir quel était ce petit obstacle placé en travers de leur route. Elles vont nous sous-estimer, pensa Murbella.

— Optimisez les cibles. Visez les regroupements les plus importants. Agrégez les explosions.

— Cibles acquises, Mère Commandante, dit Gorus.

Son message fut aussitôt retransmis par ses techniciens en charge des capteurs.

Murbella devait absolument éliminer les machines pensantes avant qu’elles n’aient eu le temps d’ouvrir le feu.

— Lancez les Oblitérateurs, dit-elle en s’efforçant à rester calme.

Telles des étincelles d’argent, les Oblitérateurs jaillirent des tubes de lancement en direction du front de vaisseaux ennemis, mais leur éclat s’estompa rapidement. Il n’y eut aucune explosion, alors même que certaines des armes lourdes avaient atteint leur cible. Les vaisseaux robotiques semblaient attendre quelque chose.

Murbella regarda autour d’elle.

— Assurez-vous que les Oblitérateurs sont bien armés. Pourquoi ne se passe-t-il rien  ? Lancez la deuxième salve!

Des alarmes retentirent. Affolé, Gorus se mit à courir d’une console à l’autre, appelant à grands cris les hommes de la Guilde sur les ponts supérieurs. Une Révérende Mère à l’air exténué se précipita dans la salle de contrôle et s’arrêta net devant Murbella.

— Nos Oblitérateurs n’ont aucun effet. Ils ne fonctionnent pas.

— Mais ils ont été testés! Nos Sœurs ont surveillé les chaînes de production. Comment pourraient-ils être défectueux  ?

C’est alors que les moteurs des cent vaisseaux du Chapitre s’arrêtèrent d’un seul coup. Les lumières vacillèrent, et l’on n’entendit plus le bourdonnement des réacteurs de maintien en position.

— Que se passe-t-il  ? s’écria Gorus. Un sabotage  ? Avons-nous été trahis  ?

Comme si elles avaient attendu précisément ce moment, les machines s’approchèrent.

D’une voix creuse, un homme de la Guilde annonça sur l’écran de communication  :

— Les systèmes de navigation ne répondent plus, Administrateur. Nous n’avons plus accès à nos commandes. Nos vaisseaux sont… hors service.

Des voyants d’alarme éclairèrent le pont d’une lueur angoissante.

— Les machines auraient-elles trouvé le moyen de neutraliser nos systèmes  ?

Gorus se tourna vers Murbella.

— Il ne s’agit pas d’un brouillage, Mère Commandante. Nos… nos vaisseaux ne fonctionnent plus, tout simplement.

Soudain, les forces ennemies furent sur eux, un millier de vaisseaux qui auraient facilement pu écraser les défenseurs humains. Murbella se prépara à mourir. Ses combattants ne pouvaient pas se défendre, ni défendre Chapitre qu’elle avait juré de protéger.

Mais au lieu de les attaquer, la flotte robotique passa lentement à côté d’eux, comme pour se moquer de leur impuissance. Les machines ne se donnaient pas la peine de tirer, comme si les défenses de l’Ordre Nouveau ne justifiaient même pas cet effort!

Loin derrière, juste à la limite du système solaire, une autre vague de machines pensantes apparut, se dirigeant droit vers Chapitre. La situation devait être identique à travers les cent systèmes où elle avait si soigneusement préparé la bataille de la dernière chance.

— Elles le savaient! Ces maudites machines savaient que nos Oblitérateurs ne fonctionneraient pas!

Comme si les vaisseaux de Murbella n’étaient qu’un simple caillou sur son chemin, la flotte d’Omnius les contourna pour atteindre la planète des Sœurs, à présent dépourvue de toute protection.

Pas un seul des nouveaux vaisseaux de la Guilde n’avait un Navigateur à son bord; la plupart d’entre eux avaient disparu avec leurs long-courriers. Chaque vaisseau des groupes de combat de Murbella dépendait d’un compilateur ixien pour sa navigation. Des compilateurs mathématiques! Des ordinateurs… des machines pensantes.

Les Ixiens! Murbella se maudit en silence d’avoir péché par excès de confiance dans ces nouveaux Oblitérateurs et dans sa propre capacité à prévoir la stratégie de l’Ennemi.

— Suivez-moi, Administrateur. Je veux voir moi-même ces Oblitérateurs

Elle saisit Gorus par le bras, avec une force suffisante pour lui faire un bleu. }

Guidés par l’éclairage de secours, ils se rendirent rapidement sur le pont où les armes avaient été installées. Là, brillant comme des œufs d’argent dans des rangées de casiers, étaient stockés les incinérateurs de planètes fabriqués par Ix. Un homme de la Guilde s’approcha, l’air désemparé.

— Nous avions vérifié les armes, Administrateur, et elles ont été correctement installées. Les commandes de déclenchement fonctionnent… mais nous venons d’en lancer des douzaines à l’instant, et aucune n’a explosé.


— Mais pour quelle raison  ?

— Parce que… parce que les Oblitérateurs eux-mêmes… Murbella s’approcha d’une des armes dont la coque externe avait été ouverte. Sous un réseau complexe de câbles et de composants délicats, la charge de l’Oblitérateur avait fondu dans l’enveloppe du mécanisme, le rendant totalement inopérant. L’arme avait été neutralisée.


— L’engin est inutilisable, Mère Commandante, dit Gorus. Il a été saboté.

— Mais j’ai vu les tests moi-même! Comment est-ce possible  ?

— Un mécanisme à retardement aura tout coupé à un moment prédéterminé, ou la flotte de l’Ennemi a pu transmettre un signal de désactivation. Une ruse quelconque que nous ne pouvions prévoir.

Murbella était atterrée. Elle avait commis une erreur fatale, celle-la même qui, d’après elle, aurait dû provoquer la perte des machines  : elle n’avait pas su se préparer à l’imprévisible. Gorus et elle ouvrirent un autre Oblitérateur, et le trouvèrent dans le même état que le précédent. Elle sentit son cœur se glacer. Ces armes avaient été fabriquées pendant des années par les Ixiens, pour un coût en mélange qui avait bien failli ruiner l’Ordre Nouveau. Elle avait été bernée, et sa flotte paralysée par les Ixiens avant même que la bataille ne commence.

— Qu’en est-il de nos générateurs  ?

— Nous pouvons les faire fonctionner, à condition de nous passer des compilateurs mathématiques.

— Je me fiche bien des compilateurs! Trouvez le moyen de récupérer quelques Oblitérateurs Ils sont tous désactivés  ? Sans exception  ?

— La seule façon de le savoir, Mère Commandante, serait de les ouvrir et de les examiner un par un.

— Nous pourrions aussi les lancer tous, en espérant que quelques-uns fonctionnent encore.

Murbella hocha lentement la tête. C’était effectivement une possibilité. Au point où ils en étaient, cela ne leur coûterait rien. Il fallait qu’elle trouve un moyen de lutter, et elle espérait que ses autres groupes de combat étaient dans une meilleure situation qu’elle… mais elle en doutait. En l’absence Oblitérateurs efficaces, toutes les planètes sur le front de bataille étaient désormais totalement vulnérables, et leur destruction prochaine était une certitude.

Et tout cela par sa faute.


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