Nous serions bien naïfs de croire que nous pouvons contrôler une substance précieuse. Ce n’est que par la ruse et une vigilance de tous les instants que nous parvenons à empêcher nos concurrents de s’en emparer.


Rapport interne de la Guilde Spatiale.


Edrik éloigna son long-courrier des ruines de Rakis. Il ne s’intéressait plus désormais au Maître du Tleilax  : Waff avait rempli son rôle.

Ce qui comptait à présent, c’était que l’Oracle du Temps avait convoqué tous les Navigateurs survivants, et Edrik avait d’excellentes nouvelles à leur annoncer. Maintenant que les vers marins proliféraient sur Buzzell, l’ultra-épice allait devenir disponible en abondance. Cette variété remarquablement concentrée se révélerait peut-être très supérieure à l’épice classique  : un mélange terriblement puissant qui permettrait aux Navigateurs de survivre en se passant de la faction des Administrateurs cupides ou des sorcières du Chapitre.


Enfin libres!


Il avait trouvé amusant de voir Waff emporter ses spécimens de vers sur Rakis dans l’espoir d’y amorcer un nouveau cycle de production d’épice. Il doutait que le Tleilaxu parvienne à ses fins, mais une source alternative de mélange serait toujours la bienvenue. De toute façon, jamais plus les Navigateurs ne se retrouveraient étranglés par les luttes de pouvoir. Les quatre hommes qu’Edrik avait désignés pour accompagner Waff étaient des espions qui le tiendraient régulièrement informé des progrès du Tleilaxu.

Dans sa cuve, Edrik sourit avec satisfaction  : il avait pensé à tout. Sa première cargaison d’ultra-épice de Buzzell soigneusement stockée dans sa chambre forte, le Navigateur s’apprêtait à guider son long-courrier dans le vide spatial. L’Oracle elle-même le féliciterait pour ces excellentes nouvelles.

Toutefois, avant même d’avoir pu se diriger vers son lieu de rendez-vous, il vit se former des rides dans l’espace environnant. En examinant ces distorsions, Edrik comprit ce qu’elles signifiaient. Un instant plus tard, des dizaines de vaisseaux de la Guilde apparurent tel un essaim d’abeilles, émergeant des replis de l’espace pour entourer son long-courrier.

Edrik envoya un message sur le canal que seuls ses collègues Navigateurs devaient pouvoir capter.

— Expliquez votre présence.

Mais il ne reçut aucune réponse de ces imposants vaisseaux. Après avoir examiné les glyphes et les cartouches dessinés sur les coques immenses, il sut qu’il s’agissait des nouveaux modèles de la Guilde guidés par les compilateurs mathématiques ixiens.

Les vaisseaux s’approchèrent. Percevant une menace, Edrik transmit avec inquiétude  :

— Quelle est votre justification  ?

Les appareils de la Guilde formaient un voile étouffant autour de son long-courrier. Le silence de ces énormes vaisseaux était bien plus inquiétant que s’il avait reçu un ultimatum. Leur proximité interférait avec ses générateurs Holtzman, l’empêchant de s’échapper en repliant l’espace.

Une voix se fit enfin entendre, monocorde et pourtant pleine d’assurance.

— Nous voulons votre cargaison d’épice. Nous allons monter à bord de votre vaisseau afin de l’inspecter.

Edrik essaya d’analyser la nature de ces ennemis en parcourant un dédale de possibilités. Ces vaisseaux semblaient appartenir à la faction des Administrateurs. Ils fonctionnaient à l’aide d’appareils ixiens, et n’avaient donc pas besoin de Navigateurs ni de mélange. Mais pourquoi voulaient-ils confisquer l’ultra-épice  ? Pour empêcher les Navigateurs de s’en servir  ? Pour s’assurer que la Guilde reste entièrement dépendante des appareils de navigation ixiens  ?

Ou s’agissait-il d’un adversaire complètement différent  ? Des vaisseaux pirates du CHOM espérant s’emparer d’une nouvelle substance précieuse  ? Des sorcières du Chapitre souhaitant conserver leur monopole sur le mélange  ?

Mais comment des étrangers pouvaient-ils connaître l’existence de l’ultra-épice  ?

Tandis que son long-courrier flottait dans l’espace, immobile et impuissant, des petites vedettes d’intervention émergèrent des soutes des vaisseaux environnants. Edrik n’avait pas d’autre choix que de les laisser aborder.

Un homme portant les insignes de la Guilde - mais qu’Edrik ne connaissait pas - pénétra dans le long-courrier et monta jusqu’au niveau d’accès restreint après avoir franchi sans aucune difficulté les différentes barrières de sécurité. Six robustes gardes du corps l’accompagnaient. Le chef de la troupe eut un sourire condescendant en s’arrêtant devant la cuve du Navigateur  :

— Votre nouvelle épice offre des possibilités fascinantes. Nous vous demandons de nous la remettre.

La voix d’Edrik retentit à travers les haut-parleurs  :

— Allez donc en chercher vous-mêmes sur Buzzell.

— La question ne se pose même pas, répliqua l’homme toujours impassible. Nous avons été informés de la puissance de cette substance, et nous pensons qu’elle peut remédier à notre situation difficile. Nous allons l’emporter au cœur de l’empire des machines pensantes.

Les machines pensantes  ? Qu’est-ce que la faction des Administrateurs pouvait avoir à faire avec l’Ennemi  ?

— Vous ne pouvez pas la prendre, répéta Edrik comme s’il avait son mot à dire.

L’homme de la Guilde fit un geste vers ses gardes du corps, qui sortirent de sous leurs robes grises de lourds marteaux. Leur chef hocha doucement la tête d’un air approbateur.

Pris de panique, Edrik battit en retraite au fond de sa cuve, mais il n’avait nulle part où aller. Peu importait à ces hommes qu’il soit condamné à mourir s’il était exposé à l’air libre. De leurs bras puissants, ils soulevèrent leurs marteaux et les abattirent sur les épaisses parois de cristoplaz.

Des lézardes apparurent, dessinant des motifs en toile d’araignée, et le gaz d’épice orange s’échappa par les brèches en sifflant. Les gardes ne réagirent pas à ce flot de mélange qui leur arrivait en plein visage, alors qu’une telle concentration aurait suffi à faire chanceler un homme normal. Leur chef observait l’opération comme un homme guettant l’approche d’un orage, tandis que la cuve d’Edrik continuait de se vider.

Quand la pression devint insuffisante pour le porter, le Navigateur s’effondra au fond de la cuve. Il leva faiblement ses mains palmées pour exiger des explications, d’une voix qui n’était plus guère qu’un soupir. L’homme de la Guilde et ses assistants ne daignèrent pas lui répondre.

Pris de convulsions, Edrik se tordait sur le sol. Il tendit un bras sans force pour tenter de ramper, mais l’atmosphère d’épice était maintenant trop ténue. C’est à peine s’il arrivait à bouger ou même à respirer. Mais il ne mourut pas tout de suite.

L’homme de la Guilde s’approcha de la paroi fracassée et son visage se transforma. Khrone dit à ses Danseurs-Visages  :

— Allez chercher l’épice concentrée. Grâce à cette substance, Omnius va pouvoir activer son Kwisatz Haderach.

Ils partirent fouiller le vaisseau et trouvèrent rapidement le stock de mélange modifié. Quand les gardes déguisés revinrent, Khrone prit l’un des lourds paquets et le huma profondément.

— Excellent. Assurez-vous que toutes nos équipes ont bien quitté ce long-courrier. Quand nous serons à l’abri, détruisez le vaisseau et tous ses occupants.

Il se tourna calmement vers Edrik qui agonisait dans sa cuve. Seules de minces fumeroles de gaz roussâtre s’échappaient encore par les fissures.

— Vous avez rempli votre rôle, Navigateur. Que cela vous soit une consolation.

Le Danseur-Visage se retira avec une expression triomphante.

Edrik continuait d’aspirer péniblement des goulées d’air dans lesquelles il ne restait plus qu’une faible trace de mélange. Le temps que les vaisseaux de la Guilde se mettent en formation dans l’espace, c’est tout juste s’il était encore conscient.

Les vaisseaux adverses ouvrirent le feu. Le long-courrier d’Edrik explosa avant qu’il n’ait pu maudire ses ennemis.


Il est un art de raconter les légendes, et un art de les vivre.


Dicton de l’antique Kaïtin.


Les opérations de reconstitution des réserves de l’Ithaque s’étaient déroulées dans les hautes latitudes encore prospères du Nord, à bonne distance des centres de population. Garimi avait géré ce processus complexe en utilisant des dizaines d’appareils pour faire la navette avec les hangars, tandis que Duncan restait sur la passerelle de commandement. Il s’y sentait piégé, incapable de quitter le non-vaisseau à cause du voile de protection qu’il lui assurait. Il avait horreur de rester en retrait tandis que les autres faisaient le travail dangereux… et il ne savait même pas ce que le couple de vieillards lui voulait.

Il n’avait aucune idée de ce qui se passait dans l’Ancien Empire, ni du côté de Murbella et du Chapitre. Il savait seulement que l’Ennemi était toujours à sa recherche… et il continuait de se cacher comme il le faisait depuis des années. Était-ce vraiment le meilleur moyen de combattre, la meilleure façon de protéger l’humanité  ? Il avait ainsi dérivé aussi longtemps que l’Ithaque, et les eaux de l’incertitude semblaient ces derniers temps plus insondables que jamais.

Cela faisait maintenant deux jours qu’il n’avait plus de nouvelles de Teg ou de Sheeana. Si leur équipe s’était contentée d’un premier contact avec les indigènes, quelqu’un aurait déjà dû envoyer un rapport sur la situation. Duncan craignait un piège du genre de celui que les Belluaires leur avaient tendu sur leur planète.

Miles Teg avait été successivement son mentor et son élève, et quant à Sheeana… ah, Sheeana. Ils avaient été amants et adversaires sexuels. Elle l’avait guéri et sauvé, et il éprouvait naturellement de l’affection pour elle. Il avait essayé de se protéger en le niant, mais elle ne l’avait pas cru, et il ne l’avait pas cru lui-même. Ils savaient qu’ils étaient unis par un lien unique en son genre, différent de celui que Murbella et lui s’étaient imposé.

En observant le paysage de la planète, il eut l’impression d’entendre un appel. Il distinguait de nombreuses villes au milieu des forêts subsistant encore dans les hautes latitudes nord et sud. C’est là qu’il aurait dû être pour affronter d’éventuels dangers avec les autres, et non pas coincé à bord de l’Ithaque, obligé de se cacher.


Combien de temps encore suis-je censé attendre  ?


Du temps où il était Maître d’Escrime de la Maison Atréides, jamais il n’aurait hésité. Si le jeune Paul Atréides avait été en danger, Duncan se serait jeté dans la mêlée pour venir à son secours, sans tenir compte des menaces intangibles du couple de vieillards. Comme le disaient les sorcières dans leur sempiternelle Litanie  : J’affronterai ma peur. Et il était grand temps pour lui de le faire.

Il ferma les yeux pour ne pas voir le désert qui s’étendait à travers le continent comme une plaie béante. Cette fois-ci, je ne peux pas rester sans rien faire. Il fit venir Thufir Hawat et Garimi, qui avait fini de reconstituer les réserves de Y Ithaque et venait de regagner le non-vaisseau avec tous ses appareils.


Duncan se leva à leur entrée.


— Nous allons nous porter au secours de l’équipe d’exploration, leur annonça-t-il, et nous allons le faire maintenant. J’ignore le genre de forces militaires dont disposent les habitants, mais nous les affronterons si le Bashar a des problèmes.


Thufir avait les yeux brillants et le feu aux joues.

— Je piloterai un des appareils. Duncan resta ferme.

— Non. Tu obéiras à mes ordres.


Garimi avait été surprise par la déclaration de Duncan, mais elle approuva en entendant cette remontrance adressée à Thufir.

— Avez-vous des instructions à nous donner avant que nous partions  ? Dois-je prendre le commandement de la mission  ?

— Non… je vais m’en charger personnellement. (Avant que les deux autres n’aient pu protester, Duncan se dirigea d’un pas décidé vers l’ascenseur, les obligeant à le suivre.) J’en ai assez de devoir me cacher. Ma stratégie était de fuir sans me faire repérer, et d’avoir toujours un temps d’avance sur cet étrange filet. Mais en procédant de la sorte, j’ai abandonné une trop grande partie de moi-même. Après tout, je suis Duncan Idaho!


(Il éleva la voix en pénétrant dans l’ascenseur.) J’ai été le Maître d’Escrime de la Maison Atréides et le prince consort de Sainte Alia du Couteau. J’ai été le conseiller et le compagnon de l’Empereur-Dieu. Si l’Ennemi est quelque part là-bas, je ne vais pas laisser l’humanité l’affronter seule. Si Sheeana et le Bashar ont besoin de mon aide, je vais la leur apporter.


Thufir se raidit, puis il s’autorisa un sourire de satisfaction.

— Cela fait longtemps que vous auriez dû quitter Y Ithaque, Duncan. Je ne vois pas ce que vous avez accompli en restant ici. On ne peut pas dire que le non-champ ait assuré une protection parfaite.

Garimi semblait heureuse de l’attitude de Duncan.

— Mes équipes de récupération ont bien étudié cette planète, qui semble un bon endroit pour nous installer. Est-ce que cela signifie que vous renoncez à vous opposer à mes efforts, et que vous allez nous laisser enfin fonder une colonie  ?

Les portes de l’ascenseur se refermèrent et ils entamèrent leur descente vers le niveau des hangars où les nombreux appareils refaisaient le plein de carburant.

— Cela reste à voir.

Maintenant que Stilgar et Liet étaient partis au petit matin, Teg prit son mal en patience. À l’heure qu’il était, Duncan devait déjà avoir tiré les conclusions qui s’imposaient.

— Tu crois qu’ils vont nous tuer, finalement  ?

Sheeana était étonnamment calme, comme si elle s’était résignée à l’inévitable.

— Toi, peut-être. C’est à toi qu’ils en veulent, répondit-il sans le moindre humour.

Ils avaient obtenu le droit de s’asseoir dehors, mais ils restaient sous l’étroite surveillance de leurs gardes.

Sheeana but une petite gorgée de l’eau qu’on leur avait donnée.

— C’est une plaisanterie  ?

— Non, une distraction. (Teg jeta un coup d’œil vers le ciel.) Nous devons faire confiance à Duncan pour décider de la réaction appropriée.

— Il nous croit peut-être capables de nous débrouiller tout seuls. Duncan a foi en nos capacités.

— Moi aussi. Si cela s’avérait nécessaire, je pourrais massacrer ces gens. (C’est à dessein qu’il avait utilisé ce mot. Massacrer. Comme il l’avait fait avec les Honorées Matriarches dans leur forteresse de Gammu.) Et cela ne me prendrait pas plus d’une seconde, comme tu le sais bien.

Sheeana l’avait vu en action contre les Belluaires lorsqu’il l’avait aidée à s’échapper en compagnie de Thufir et du Rabbi. Elle avait pu constater aussi à quel point cette explosion d’énergie l’avait complètement épuisé.

— Oui, Miles, je sais. Et j’espère que ce ne sera pas nécessaire.

Ils entendirent au loin le bourdonnement aigu du petit avion revenant du désert. L’ouïe particulièrement fine de Teg lui permit de reconnaître les crachotements caractéristiques des moteurs. Les villageois s’attroupèrent près de l’aire d’atterrissage pour accueillir les chasseurs. Deux petits points apparurent dans le ciel, volant à basse altitude, bientôt suivis de nombreux autres, telle une volée d’oiseaux migrateurs dispersés. Le bourdonnement devint un rugissement.

Teg se mit la main en visière et identifia plusieurs des appareils.

— Ce sont des navettes minières et des vedettes du non-vaisseau. C’est donc ainsi que Duncan a l’intention de nous secourir. Il essaie de les impressionner. On dirait qu’il a utilisé tous les appareils que nous possédons.

— En tout cas, nous disposons d’une puissance de feu nettement supérieure. Duncan aurait pu choisir la méthode directe et nous récupérer par la force des armes.

En voyant les appareils s’approcher, Teg sourit.

— Il est beaucoup plus malin que ça. Comme moi, il préfère éviter les bains de sang, surtout dans un conflit qu’il ne comprend pas entièrement.

Est-ce moi qui lui ai appris cette leçon, ou bien lui qui me l’a apprise  ? Le Bashar repensa à ses existences antérieures, mais sans y trouver de réponse.

Une bonne quarantaine d’appareils vinrent se poser sur une large étendue plane à la limite du village. Ce n’étaient pas des engins de guerre ni des vaisseaux d’attaque blindés, même si quelques-uns étaient équipés d’armes défensives. Le Bashar s’éloigna des tentes, accompagné de Sheeana, pour se diriger vers la plus grosse des navettes. Personne n’essaya de les arrêter; les nomades étaient bien trop médusés par ce spectacle.

Teg fut surpris de voir Duncan Idaho en personne descendre la rampe du vaisseau de tête, vêtu de son uniforme traditionnel de la Maison Atréides, jusqu’aux bottes soigneusement cirées et l’insigne en forme de nova correspondant à son rang militaire.


Si les Qelsans avaient quitté l’Ancien Empire quinze cents ans auparavant, il y avait peu de chances qu’ils reconnaissent ces symboles, mais Teg trouvait que cet uniforme conférait à son ami une magnifique aura de commandement, et lui donnait certainement beaucoup d’assurance.


Duncan balaya du regard le groupe de villageois ébahis, et finit par apercevoir Teg et Sheeana. Son soulagement pouvait se lire sur son visage lorsqu’il s’approcha d’eux.

— Vous êtes encore vivants. Et indemnes  ?

— Pas Stuka, répondit Sheeana avec une certaine amertume.

— Tu n’aurais pas dû quitter le non-vaisseau, dit Teg. Te voici vulnérable, maintenant, les chasseurs au filet peuvent te voir.

— Eh bien, qu’ils me trouvent, répliqua Duncan. (Son visage était impassible, comme s’il était arrivé à une conclusion inévitable.) Cette poursuite interminable, ce jeu de cache-cache, tout cela ne mène à rien. Je ne peux pas vaincre l’Ennemi si je ne l’affronte pas.

Sheeana lança un regard inquiet vers le ciel, comme si elle s’attendait à ce que le vieil homme et la vieille femme apparaissent tout à coup.

— Garimi aurait pu diriger l’attaque, ou même Thufir. Mais tu t’es laissé dominer par tes émotions.

— J’en ai tenu compte quand j’ai pris ma décision, qui est la bonne. (Le visage de Duncan s’empourpra soudain, comme s’il cachait la vraie réponse, et il se hâta de donner une explication.) J’ai communiqué avec Stilgar et Liet-Kynes à bord de leur appareil à l’aide de notre réseau direct. Nous les avons interceptés au-dessus du désert, et j’ai donc une bonne idée de ce qui se passe ici. Je sais comment ils ont tué Stuka - et pourquoi.

— Tu es surpris de me trouver encore en vie, n’est-ce pas  ? fit Sheeana. Et soulagé aussi, j’espère…

Teg l’interrompit.

— La mort de Stuka est une tragédie due à une réaction excessive. Ces gens nous ont pris pour ce que nous n’étions pas.

— Oui, Miles, fit Duncan en hochant la tête. Et si j’avais moi aussi réagi de façon excessive avec une puissance de feu supérieure, cela aurait provoqué d’autres morts et une tragédie encore plus grande. C’est peut-être ainsi que j’aurais agi dans l’une de mes vies antérieures, mais il m’a suffi de réfléchir à ce que toi, tu aurais fait.

Stilgar et Liet sortirent de l’avion-citerne en compagnie du groupe de commandos. Les deux jeunes gholas semblaient plus assurés, et leurs yeux brillaient d’une nouvelle animation. Le naib des Fremen et le planétologiste avaient trouvé sur Qelso quelque chose qui leur redonnait de l’énergie et les transportait dans une autre époque.

Teg comprenait bien ce qu’ils avaient dû endurer depuis qu’ils avaient recouvré leurs souvenirs. Ils avaient mené une existence protégée et confortable à bord de l’Ithaque, obligés de se contenter de lire les archives concernant leur passé et d’aller observer les vers des sables dans la soute, comme s’il s’agissait d’animaux dans un zoo. Mais ces gholas se souvenaient de la véritable Arrakis. La vie de Stilgar et de Kynes n’avait pas été plus confortable ni plus sûre à cette époque tumultueuse, mais elle avait apporté une certaine clarté dans la définition de ce qu’ils étaient.

D’autres sortirent des appareils venus de l’Ithaque  : Thufir, Garimi et une douzaine de Sœurs, de robustes ouvriers du Bene Gesserit, des enfants de la deuxième génération nés à bord du non-vaisseau et qui posaient pour la première fois le pied sur une véritable planète. Cinq des fidèles du Rabbi se tenaient sous le soleil brûlant, contemplant d’un air émerveillé le vaste paysage autour d’eux. Puis le vieil homme lui-même sortit en clignant ses yeux de hibou derrière ses lunettes.

D’un air admiratif, Var regarda cette armada et ses nouveaux compagnons, Stilgar et Liet. Il leva le menton. Apparemment, Duncan s’était également entretenu avec le chef du village pendant le vol de retour du désert.

— Duncan Idaho, vous savez les épreuves que nous affrontons, et ce que nous avons été amenés à faire. Nous sommes les seuls à tenter d’empêcher la mort de cette planète. Ce n’est pas nous qui avons amené le désert ici. Vous n’avez pas le droit de nous condamner.

— Je ne vous ai pas condamnés pour la lutte que vous menez, mais je ne peux pas accepter ce que vous avez fait à notre compagne. Les Bene Gesserit qui sont venues sur votre planète autrefois ont agi sans réfléchir aux conséquences que cela aurait pour vous. Il semble maintenant que vous ayez fait de même.

Le vieux chef secoua la tête. Une flamme de colère et d’indignation brûla dans son regard.

— Nous avons tué les sorcières responsables d’avoir introduit les truites des sables sur ce monde. Quand nous avons trouvé une autre sorcière, nous l’avons tuée elle aussi.

Duncan mit brusquement fin à ce qui s’annonçait comme une discussion stérile.

— Nous allons emmener nos amis et vous quitter. Je vous laisse poursuivre votre combat inutile contre un désert que vous ne pouvez vaincre.

Teg et Sheeana s’avancèrent, pressés de quitter cet endroit. Mais Liet et Stilgar ne bougèrent pas. Ils se regardèrent, puis Stilgar redressa les épaules et s’adressa à Duncan  :

— Bashar… Liet et moi, nous avons réfléchi. Nous sommes ici dans le désert… Ce n’est pas notre désert, mais c’est ce qui s’en rapproche le plus. Nous avons été ramenés à la vie pour remplir un rôle. Les talents de nos vies passées peuvent être une ressource vitale dans un endroit comme celui-ci.

Liet-Kynes enchaîna, comme si Stilgar et lui avaient préparé leur discours.

— Regardez autour de vous. Pouvez-vous imaginer un monde où nos capacités seraient encore plus nécessaires  ? Nous sommes des guerriers formés à lutter contre l’impossible. Nous avons l’expérience du combat dans le désert. En tant que planétologiste, je connais les meilleures façons de contrôler la progression des dunes, et j’en sais plus sur le cycle des vers des sables que n’importe qui.

Stilgar ajouta, sur un ton de plus en plus enthousiaste  :

— Nous pouvons leur montrer comment construire des sietches dans le désert le plus aride, et leur apprendre à fabriquer de vrais distilles. Un jour, qui sait, nous pourrons même chevaucher de nouveau les vers des sables. (Sa voix se brisa.) Personne ne peut arrêter le désert, mais nous pouvons aider ces gens à survivre. Vous autres, retournez sur le non-vaisseau, mais les Qelsans ont besoin de nous deux.

Sheeana, qui s’apprêtait à embarquer dans un appareil, se retourna, manifestement mécontente.

— C’est impossible. Nous avons besoin de vous à bord de l’Ithaque, comme de tous les autres gholas. Chacun de vous a été créé, élevé et formé pour nous aider à combattre l’Ennemi.

— Mais personne ne sait comment, Sheeana, fit remarquer Duncan, ému par les propos des deux jeunes gens. Nul d’entre nous ne peut dire avec certitude pourquoi nous avons besoin de Stilgar et de Liet, ni en quoi consiste exactement notre combat.

— Nous ne sommes pas vos outils, ni de simples pions qu’on déplace sur un échiquier, fit Stilgar en croisant résolument les bras sur sa poitrine. Peu importe la façon dont nous avons été créés, nous sommes des êtres humains dotés de libre arbitre. Je n’ai jamais demandé à servir les sorcières du Bene Gesserit. Liet ne fut pas en reste.

— C’est ce que nous voulons faire, et qui peut dire que ce n’est pas notre destinée  ? Nous pourrions sauver une planète, ou tout du moins sa population. N’est-ce pas là un but suffisamment important  ?

Teg ne les comprenait que trop bien. Ces deux gholas avaient trouvé quelque chose à quoi se raccrocher, un combat qu’ils pouvaient mener en utilisant leurs compétences particulières. Lui-même avait été créé pour servir de pion, et c’est ce rôle qu’il était obligé de jouer.

— Laisse-les aller, Sheeana. Tu as déjà assez de sujets d’expérience comme ça à bord.

Thufir Hawat s’approcha du Bashar, soulagé de voir que son mentor était indemne. Il jeta un regard troublé vers Sheeana.

— Est-ce tout ce que nous sommes pour eux, Bashar  ? Des sujets d’expérience  ?

— Oui, en un sens. Et maintenant, nous devons retourner dans notre cage.

Il avait hâte de quitter cette planète agonisante avant que d’autres problèmes ne se présentent.

— Pas si vite, fit le vieux Rabbi en s’avançant. Mon peuple n’a rien à voir avec votre fuite éperdue dans l’espace. Nous avons toujours voulu une planète où nous installer. Celle-ci vaut toujours mieux que les ponts métalliques et les petites cabines de l’Ithaque

— Qelso se meurt, fit remarquer Sheeana.

Le Rabbi et ses compagnons se contentèrent de hausser les épaules.

Var et quelques-uns des villageois semblèrent se renfrogner.

— Nos ressources ne sont pas extensibles. Vous n’êtes les bienvenus ici que si vous avez l’intention de combattre le désert avec nous.

Isaac, l’un des Juifs les plus robustes, acquiesça  :

— Si nous décidons de rester ici, nous travaillerons et nous nous battrons. Notre peuple a appris à survivre lorsque le reste de l’univers est dressé contre lui.


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