Chapitre 41

LA PREMIÈRE RÉACTION de Le Bihan avait été la peur. Les lueurs dans les yeux l’avaient aveuglé et il n’avait pas réussi à identifier les hommes qui le tiraient de la voiture. Dès qu’ils se mirent à parler, le jeune homme comprit qu’il ne s’agissait pas des SS avec lesquels il avait voyagé, mais de Norvégiens. Il fut tiré sans ménagement de la voiture et conduit jusqu’au tumulus qu’il n’avait pas encore vu. Soudain, un faisceau lumineux balaya le sol et plus précisément les quatre corps d’Allemands qui avaient été exécutés d’une balle dans la tête. Un des Norvégiens vint lui poser une question dans un français impeccable.

— Que faites-vous avec ces Allemands ? Vous êtes un collaborateur ?

— Pas du tout ! s’exclama Le Bihan.

Face à ces partisans, il était éberlué de se retrouver dans la position de l’ennemi. Il les regarda et entreprit de prouver son innocence.

— Ils m’ont forcé à les accompagner pour fouiller le tumulus de Rollon.

— Quand nous avons tué le plus jeune, poursuivit le Norvégien, il était occupé à creuser ce gros tas de terre. Dis-nous ce qu’il y cherchait.

— C’est un tumulus, expliqua Le Bihan. Il s’agit selon toute vraisemblance de la tombe d’un ancien chef viking. Nous devons être ici dans un lieu sacré.

À en juger par l’expression du partisan, il ne devait pas être convaincu par l’explication que le Français lui avait donnée. Il se tourna vers ses compagnons et leur répéta ce qu’il venait de dire en norvégien. Ils discutèrent quelques instants, puis le premier homme revint à hauteur de Le Bihan.

— Nous avons entamé la reconquête de notre pays, dit-il avec solennité. Les Allemands sont encore très nombreux en Norvège et aujourd’hui, ils sont déterminés à nous combattre jusqu’au dernier. Dès lors, je pense qu’ils ont d’autres priorités que de se livrer à des fouilles archéologiques.

— Croyez-moi, répondit Le Bihan avec conviction, il ne s’agit pas d’armes ni de réserves d’or. Laissez-moi seulement vous montrer, je vais vous prouver que j’ai raison.

Le Norvégien paraissait troublé par la conviction du Français. Il donna un ordre bref à ses camarades et puis répondit à Le Bihan.

— La zone n’est pas des plus sûres, mais compte tenu de la nuit, nous sommes prêts à te faire confiance. Tu as deux heures pour nous prouver que tu dis vrai.

Le Bihan ne se fit pas prier. Il saisit une pelle et mit les autres dans les mains des Norvégiens. Ils commencèrent tous à creuser. Le jeune homme se dit que cette fouille n’avait rien de scientifique, mais que la guerre justifiait quelquefois ce genre d’opération commando. Armé d’une énergie dont il ne se savait pas capable, il parvint rapidement au centre du tumulus et buta contre un muret de pierres. Il entreprit de le démonter avec prudence afin de ne pas abîmer ce qu’il renfermait. Le Français tint les Norvégiens à l’écart pour achever l’opération. Il enleva les pierres les unes après les autres et révéla enfin, derrière les fragments de bois du bateau, la sépulture. Le Bihan en déduit que le chef qui avait été enterré ici avait fait l’objet d’un rite funéraire propre aux Vikings. Afin de permettre au mort de naviguer vers l’au-delà, ses compagnons enfouissaient sous un tumulus une barque avec son mât couché et sa voile roulée. Généralement, on y déposait des objets usuels et funéraires. Grâce à l’argile bleue, abondante dans la région, le bois était relativement bien conservé. L’historien poursuivit l’excavation et découvrit les ossements de la dépouille. Il demanda aux Norvégiens d’éclairer ce qu’il venait de découvrir et un squelette très abîmé apparut au plus profond de la nuit. Le Bihan se mit à toucher les os, mais sans parvenir au résultat qu’il escomptait. Les restes devaient bien être ceux de Hròlfr le Marcheur dit Rollon, mais le premier duc de Normandie était entièrement nu. Il n’était pas accompagné du moindre ornement. C’était un peu comme si on l’avait dépouillé de tous les signes qui témoignaient de sa puissance.

— Le roi est nu, murmura Le Bihan, désespéré.

— Pardon ? s’enquit le Norvégien. Je ne comprends rien à ce que vous faites, mais je sais que nous ne devons pas tarder. Nous sommes en danger ici. Vous avez trouvé ce que vous vouliez ? Daignerez-vous enfin nous expliquer où vous voulez en venir ?

Le Bihan ne put s’empêcher de jeter un coup d’oeil sur Storman qui gisait à terre. Il répondit comme s’il s’adressait d’abord au cadavre. Après tout, lui seul pouvait le comprendre.

— Ils sont décidément plus forts que nous, lui dit-il avec fatalisme. Skirnir le Roux a réussi à vaincre son rival, même par-delà les siècles.

Puis, il jeta sa pelle à terre et s’adressa au Norvégien.

— Nous pouvons y aller, nous avons tous fait fausse route.

Les hommes rassemblèrent leurs effets et s’enfoncèrent dans la nuit. Une fois encore, Rollon demeura là, seul, au coeur de la forêt d’Uvdal. Il reprenait son repos, pour la nuit des siècles, avec le poids de ses secrets.