Livre Vingt et Unième

LES SERVANTES DU PALAIS s’inclinèrent respectueusement en voyant Odgive faire son entrée dans la grande salle d’apparat. Sans leur jeter un coup d’oeil, la Reine passa devant elles et apostropha son fils qui était assis sur un siège à côté du trône.

— Louis, s’exclama-t-elle, combien de fois vous ai-je dit de vous tenir bien droit sur votre siège ? N’oubliez pas que celui-ci sera un jour un trône et que vous devrez inspirer le respect et la crainte à vos sujets. Quand je vous vois, avachi de la sorte, j’ai parfois l’impression de retrouver votre père. Pauvre Charles, s’il avait pu le faire, il aurait reçu les ambassadeurs, couché dans sa litière comme les anciens rois fainéants, fils de Mérovée.

L’impérieuse Odgive n’hésitait jamais à réprimander son fils en public, comme s’il n’avait été qu’un gamin pris en flagrant délit de maladresse. Louis avait beau être habitué au traitement que lui faisait subir sa mère, il n’en éprouvait pas moins une terrible honte. Le prince prenait un air renfrogné tandis qu’il se redressait pour obéir à sa mère. Déjà Odgive ne le regardait plus, elle lança un ordre au garde qui était posté à la porte de la salle.

— Fais entrer Harold !

Odgive prit place sur le trône du Roi son père comme elle avait coutume de le faire pour recevoir ses visiteurs. Elle jeta un dernier coup d’oeil sur son fils afin de s’assurer que celui-ci se tenait correctement. Harold fit ensuite son entrée et se dirigea vers les trônes des souverains. Il effectua deux révérences devant la mère d’abord, et le fils ensuite.

— Trêve de convenances Seigneur Harold, lâcha sèchement la Reine. Vous avez des nouvelles de Normandie. Quelle fut la réaction de notre bon compère, le duc Hròlfr dit Rollon ou Robert ?

— Excellente Madame, répondit Harold avec empressement. Je dois à la vérité de dire qu’il a commencé par douter.

— Ces sauvages ne sont point réputés pour la vivacité de leur esprit, dit-elle avec mépris.

— Certes, poursuivit Harold, mais à force d’explications, il a fini par se rendre à nos arguments. Sous le sceau du secret, il a même accepté de nous céder ses hommes pour combattre les troupes de l’usurpateur Raoul.

— Es-tu convaincu de sa sincérité ? demanda Odgive avec incrédulité.

— Il n’attend qu’une parole de la part de Votre Majesté, répondit Harold avec assurance. Je me porte garant de la parole de Hròlfr le Marcheur.

Odgive se frotta le menton avant qu’un sourire ne vienne illuminer son visage. Elle jeta un coup d’oeil sur son fils qui attendait la réaction de sa mère pour adapter son comportement en conséquence.

— Au nom de mon fils, Louis, quatrième du nom, finit par déclarer Odgive, je te suis très reconnaissante de la mission que tu viens d’accomplir. L’appui du duc de Normandie garantit un avantage décisif dans la lutte qui nous oppose à nos ennemis. Tu seras récompensé à la hauteur du service rendu, crois-le bien.

Elle jeta ensuite un bref regard à son fils qui comprit ce qu’elle attendait de lui.

— Vous avez toute ma gratitude, Messire Harold, fit le jeune homme.

Harold s’inclina devant le jeune prince, puis devant la Reine. Il se retira ensuite, comprenant que l’audience était achevée. Le garde le reconduit à l’extérieur de la salle du trône et les dames de compagnie sortirent à leur tour, laissant Odgive et son fils seuls.

— Nos affaires progressent bien, Louis, dit alors Odgive sur un ton satisfait. Si nous pouvons compter sur l’appui du sauvage Hròlfr, ce chien de Raoul ne tiendra pas bien longtemps. Le Viking s’acquittera de la dette qu’il nous doit et une fois que tu seras fermement établi sur ton trône, nous ferons comprendre à ces hérétiques qui est le véritable maître au royaume de France.

Odgive se leva et alla chercher deux bâtons de cérémonie qui étaient posés contre le mur de la salle. Elle les donna à son fils qui ne comprenait pas où sa mère voulait en venir.

— Tiens, Louis, dit-elle avec autorité, imagine-toi que tu tiens fermement en main les sceptres du royaume de France. Entraîne-toi à les porter correctement et surtout, dignement. Avec toute la majesté dont le roi de France doit savoir faire preuve.

Pendant que le jeune homme se conformait aux ordres de sa mère, Odgive sentait que ses pensées l’emmenaient déjà très loin de ce palais, de l’autre côté de la mer. Elle brûlait de voir son fils ceindre la couronne de ses ancêtres et d’oublier le calamiteux règne de son trop faible époux. Louis IV serait l’instrument de la restauration de la grandeur carolingienne, et ce, grâce à la force de la volonté de sa mère.