Chapitre 39

COMME DE COUTUME, le pape travaillait tard. Il appréciait cette heure du jour où il pouvait travailler sur ses dossiers sans être dérangé par la ronde incessante des solliciteurs. Assis à sa grande table, il étudiait les documents et profitait de ces moments privilégiés où le silence était palpable dans le Vatican.

Les trois petits coups sur la porte avaient été discrets, mais ils lui avaient fait l’effet d’un grondement de tonnerre dans un ciel serein. Le pape lâcha un petit « si » qui trahit sa contrariété.

Monsignore Battisti entra dans la pièce. Il avait sa mine des mauvais jours, lorsqu’il lui fallait annoncer de pénibles nouvelles.

— Votre Sainteté, commença-t-il quand il se fut avancé jusqu’à son bureau, les SS de Storman ont mis la main sur l’archéologue. Il est sous leur contrôle.

— Je croyais que les Allemands perdaient peu à peu le contrôle sur tout, répondit Pie XII sans chercher à être ironique.

— D’après mes dernières informations, ils se sont même séparés pour mener à bien leur mission. Prinz ne fait plus partie du voyage. Le jeune SS Storman est déterminé à aller jusqu’au bout, même s’il doit s’opposer à sa hiérarchie pour y parvenir.

— Pour qu’un SS désobéisse, répondit le pape, il faut vraiment que l’enjeu soit à la hauteur de ses espérances. Or, nous connaissons encore mieux que lui l’importance de cette découverte.

Pie XII se leva et ôta ses lunettes pour se passer la main sur les yeux. Son geste lent révélait une grande fatigue. En quelques instants, il venait de perdre tout l’allant qui était le sien quand il avait commencé à travailler. Il se leva et alla contempler une descente de croix qui ornait le mur de son bureau. Comme son regard errait sur la toile, il murmura :

— Fasse Dieu que ce diable d’Allemand ne parvienne pas au but. Et prions pour que le jeune Français ne paie pas de sa vie le prix de sa curiosité...

Le souverain pontife se retourna et regarda son visiteur avec une bienveillance teintée de fatalisme.

— Merci de m’avoir informé, Monsignore. Hélas, pour l’heure, nous ne pouvons plus rien faire sinon solliciter la bienveillance de la Providence. Nous avons agi comme nous avons pu. Les Allemands me font penser à un fauve blessé. Ils savent que la partie est perdue, mais ils sont déterminés à la jouer jusqu’au bout de leurs forces. Et vous n’ignorez pas que c’est toujours dans ces moments-là qu’ils sont les plus dangereux.

Battisti inclina la tête. Il frissonna en pensant à ce que pourrait devenir ce monde si Storman parvenait à ses fins.