Chapitre 40

COMBIEN DE TEMPS avait duré la scène ? À vrai dire, Storman aurait bien été incapable de le dire. Il n’avait pourtant rien laissé au hasard. La fuite des Pays-Bas, le voyage à travers le Danemark, la traversée de la mer du Nord et finalement l’arrivée en Norvège dans la vallée de l’Uvdal, au pied des monts de Hardangervidda. La discrétion dont il avait preuve pour échapper aux partisans jusqu’à cette course haletante à travers la forêt plongée dans la nuit nordique.

Exalté, l’Allemand songeait aux récits épiques et glorieux que l’on avait coutume de raconter à l’Ahnenerbe. Il était convaincu qu’il était le digne héritier de ces guerriers germaniques qui couraient les forêts et les vallées pour mener leur combat. Il était l’un de ces chasseurs infatigables qui n’avaient pas encore été corrompus par les mirages faciles de la vie moderne et du confort. Storman sentait le danger comme le chien flaire l’adversaire. Il avait pris la précaution de laisser Le Bihan à l’intérieur de la voiture, solidement entravé. Il craignait qu’il ne fît tout échouer à la dernière minute. De toute façon, il n’avait plus besoin de lui et il n’avait aucune envie de partager avec son rival la découverte extraordinaire qu’il allait faire.

Accompagné par ses hommes, il avait couru jusqu’à perdre son souffle pour atteindre son Graal. Et arrivé au terme de sa course, il avait fini par le trouver. Le fameux tumulus était là, devant lui. Un oeil non averti n’aurait pas pu discerner cette masse de terre d’une autre, mais pour Storman, aucun doute n’était permis. Il pouvait enfin le contempler de ses yeux. Et ni Le Bihan, ni Prinz, ni Haraldsen n’avaient accompli cet exploit. C’était lui le vainqueur. Il sentit un tremblement de joie le parcourir : il était bel et bien le plus fort ! Il représentait la meilleure preuve de la supériorité de la jeunesse SS.

Les hommes avaient sorti leurs pelles et commencé à creuser. Il n’y avait pas un instant à perdre. Il y avait eu ce bruit, ce « toc » qui lui laissait entrevoir une découverte extraordinaire. Le rythme de son coeur s’était emballé. Il ne savait pas combien de temps au juste toute cette effervescence avait duré, mais c’était bien fini. Il y eut d’abord les phares dans les yeux. Puis, tout ce monde autour de lui. Et enfin les ordres criés en norvégien. Le loup des forêts était parvenu à son but, mais il venait de trébucher. C’était la fin de sa course.

Storman n’eut pas le temps de réfléchir, mais il prit plusieurs décisions. Il n’écrasa pas la capsule de cyanure dont il ne se séparait jamais. Le SS était toujours aussi résolu à aller jusqu’au bout de sa quête. Il ne serait pas dit qu’il avait abandonné si près du but. Faisant abstraction de tous les hommes qui se trouvaient autour de lui, il courut avec sa pelle vers le tumulus en hurlant. Les partisans ne comprirent pas cet accès de folie et plusieurs coups de fusil résonnèrent dans la nuit. Une expression d’étonnement puis de douleur se lurent sur le visage de Storman. Il s’écroula au pied du tumulus. Sa main eut encore la force de saisir une poignée de terre. La vie le quittait tandis qu’un sourire de victoire se dessinait sur son visage.