Chapitre 26

LE BIHAN arriva à la cathédrale dès l’ouverture de l’édifice au public. Il se dirigea vers un confessionnal et s’assit sur le petit banc de bois à l’intérieur. L’obscurité était presque complète et il n’y avait pas le moindre bruit pour rompre le silence qui régnait dans la maison de Dieu. Puis, de manière imperceptible, le jeune homme se mit à entendre l’écho, à la fois proche et lointain, d’un souffle venant de l’autre côté de la paroi. Malgré ses efforts, il ne réussit pas à déterminer s’il le percevait à présent que ses oreilles étaient habituées à l’ambiance confinée du confessionnal et que la personne s’y trouvait déjà, ou si quelqu’un venait d’y entrer. Le glissement sec du volet de bois qui séparait les deux hommes ramena Le Bihan à son affaire.

— Monsieur Le Bihan, fit la voix de l’autre partie du confessionnal qui se distinguait par un fort accent italien. Pardonnez mon français approximatif, je n’ai pas la chance de le parler comme je voudrais le faire, mais sachez que j’aime beaucoup votre pays. Excusez aussi ce rendez-vous incongru, mais il est important pour moi de conserver la plus entière discrétion sur ma démarche.

— Votre français me paraît excellent ! Mais que puis-je pour vous ? répondit le jeune homme visiblement troublé par ces préalables.

— Laissez-moi vous expliquer. Je suis venu d’Italie pour vous confier un document de la plus grande importance. À l’exception de quelques privilégiés, vous serez le premier à le compulser depuis de très nombreux siècles. Sachez qu’il s’agit d’un recueil de grande valeur et qu’il n’a jamais quitté la bibliothèque où il repose depuis cinq siècles. Nous savons que vous êtes sur la trace des origines du duc Rollon des Normands. Nous savons aussi que ces messieurs de la SS poursuivent le même but que vous. Peut-être même ont-ils déjà pris de l’avance. Il faut dire qu’ils disposent de moyens auxquels vous ne pouvez prétendre. À moins que l’on vous aide... Même si nos motivations sont différentes, je pense que nous poursuivons un même but. Nous voulons tous les deux empêcher que les Allemands n’utilisent les découvertes qu’ils feront à des fins destructrices. Et qu’ils ne bouleversent davantage encore l’ordre des choses en ce bas monde.

— En quoi puis-je vous être utile ? répéta Le Bihan. Je crains que tout ceci me dépasse.

— Ne soyez pas modeste, poursuivit la voix. Je vous répète qu’il n’est pas nécessaire de savoir pourquoi nous vous confions aujourd’hui ce trésor. Seules nous importent la paix et la vérité de la Foi. Utilisez au mieux l’outil précieux que nous mettons à votre disposition, retrouvez Rollon dépouillé de sa croix et puis, vous nous rendrez le livre. Il retournera pour de nombreux siècles sur le rayonnage qu’il n’aurait jamais dû quitter si la folie des hommes n’avait pas plongé ce pauvre monde dans le chaos.

Le bruit de la porte de la cathédrale s’ouvrant et se fermant interrompit quelques minutes la conversation. Il ne devait s’agir que d’un fidèle qui venait se recueillir quelques minutes avant d’aller travailler. Quand il comprit qu’ils ne risquaient pas d’être écoutés, l’homme à l’accent italien finit ce qu’il avait à dire.

— Je vais bientôt quitter ce confessionnal, murmura-t-il. Bien que vous ne me connaissiez pas, je vous demanderai de ne pas chercher à m’apercevoir ; cela ne servirait à rien, sinon à nous mettre en danger si d’aventure les choses tournaient mal. Je vais déposer le livre sur mon siège, attendez quelques instants et vous n’aurez qu’à venir le prendre. Bonne chance et que la bénédiction de Dieu vous accompagne.

Le Bihan n’eut pas le temps de répondre. Le petit volet de bois se referma aussi sèchement qu’il s’était ouvert et le laissa seul, à nouveau dans l’obscurité. Il entendit son interlocuteur quitter le confessionnal et le son feutré des talons de ses chaussures sur le pavement de la cathédrale. Quand le silence se fit, Le Bihan sortit du confessionnal et plissa les yeux. Il devait laisser quelques secondes à ses yeux, le temps de s’habituer à nouveau à la lumière qui commençait à inonder l’édifice aux murs percés de vitraux. Il tira ensuite le petit rideau noir du compartiment central et découvrit une sacoche de cuir sur le siège. Il en sortit un volume relié et en ouvrit la première page. Le coeur battant, il découvrit un titre calligraphié en lettres gothiques :

L’Évangéliaire des Runes