Livre Dix-Neuvième

UN LONG LACET DE CUIR brun tenait le volume fermé. Les petits doigts noués défirent le lien avec un calme remarquable qui contrastait avec l’impatience de Skirnir.

— Ne sois pas pressé, Skirnir, plaisanta Sverre le légiste. Depuis que tu es enfant, je te répète que les victoires sont acquises à ceux qui savent prendre le temps d’attendre. Un jour, ton empressement finira par te perdre !

— Nos affaires avancent, vieux filou, répondit Skirnir en souriant. Un envoyé du roi Raoul est venu ce matin. Le Roi franc craint que Hròlfr pactise avec Odgive pour restaurer la dynastie carolingienne. Raoul est prêt à nous aider pour combattre le duc de Normandie et ses alliés... Les jours de Hròlfr le traître sont comptés, tu peux me croire !

Sverre posa le livre sur la table de sa chaumière. Il l’ouvrit avec précaution et commença à en tourner les pages. Malgré le poids des ans, ses petits yeux pétillaient. Il était fier de l’oeuvre considérable qu’il venait d’accomplir.

— Le voilà enfin, dit-il à voix basse. L’évangéliaire des quatre compagnons de leur dieu Jésus-Christ. Pour la première fois, il a été traduit dans la langue sacrée des runes. Avec la force magique de l’écriture de nos ancêtres, nous vaincrons le dieu des lâches et des faibles.

— Tu as fait du très beau travail, s’exclama Skirnir avec admiration. Ce livre ne me quittera plus. Dès que nous nous serons occupés de Hròlfr, il deviendra notre meilleure arme pour combattre le Christ. Thor, Odin et tous ceux d’Asgard seront à nos côtés pour l’anéantir. Les Vikings donneront le signal de cette glorieuse reconquête. Et tu en auras été un des plus dignes artisans.

— Souhaitons que je sois encore parmi vous, soupira Sverre en se rendant à la hauteur de la porte qui était restée entrouverte. Je sens chaque jour les assauts que livre la vieillesse contre ma fragile forteresse. Je ne pourrai plus résister longtemps à ces sombres coups de boutoir... Mes jours sont comptés...

— Silence ! lui intima Skirnir, tu nous enterreras tous, d’ailleurs, je...

Soudain, Sverre leva le bras pour lui demander de se taire. Le vieux légiste alla jeter un coup d’oeil au-dehors quand la porte s’ouvrit violemment. Quatre hommes armés s’introduisirent dans la maison et firent tomber à terre le vieux Sverre. Ils se précipitèrent vers Skirnir le roux qui sortit instinctivement son épée de son fourreau.

— Mais, s’écria-t-il en voyant les quatre guerriers normands qui couraient vers lui, que me voulez-vous ? Attention, mes frères, vous allez tâter de la lame de mon épée !

— Ordre du duc Rollon, cria l’un des gardes. Nous devons te mener à lui sans délai.

— Vous allez le regretter, menaça encore Skirnir.

Il était trop tard. Il était déjà ceinturé par les gardes.

Avec peine, Sverre avait réussi à se relever. Obéissant à un réflexe de sauvegarde, il alla prendre l’évangéliaire et le posa précautionneusement sur le pupitre. Il jeta un regard complice à Skirnir qui lui répondit par un petit sourire. La situation n’était guère favorable au géant roux, mais pour l’heure, l’arme propre à combattre le dieu des chrétiens était sauvée.