Chapitre 14

LE GARDE CLAQUA LES TALONS en voyant arriver Storman devant lui. Il ouvrit la porte du couloir qui menait aux cellules aménagées dans les souterrains du château. Le SS n’était encore jamais venu dans cette partie du Wewelsburg. Il fut étonné de constater la parfaite propreté des lieux. On était très loin de l’image que l’on pouvait se faire d’une prison traditionnelle. L’Ordre Noir avait poussé le goût de la discipline et des références tirées du passé jusqu’à donner à ses geôles l’apparence de donjons médiévaux parfaitement entretenus. Les portes des cellules étaient coiffées d’un arc en accolade et ornées de ferronneries à têtes d’animaux fabuleux. Storman se laissa distraire quelques instants par ses observations architecturales jusqu’à ce que le soldat de garde lui désigne la cellule portant le numéro « 5 »

— Conformément aux ordres, nous lui avons procuré une table, une chaise, des feuilles et du papier, dit le garde avant d’ajouter, avec une moue de réprobation, même si ce n’est pas réglementaire...

— Vous n’avez rien à craindre de lui, répondit Storman. Monsieur Haraldsen reste notre invité.

Un petit rire ironique répondit à l’officier. Dans le fond de la cellule se dessinait la silhouette assise du Norvégien face à sa table. Même s’il avait écouté attentivement le bref échange de conversation, il n’en arrêta pas de travailler pour autant. Sa main courait sur le papier et les lignes de son écriture régulière au crayon noir s’enchaînaient les unes aux autres. D’ordinaire plutôt sûr de lui, Storman n’était pas très fier. Il se demandait comment il allait entamer la conversation et paraissait chercher ses mots. Haraldsen le tira de ce mauvais pas en commençant à parler.

— Ne vous sentez pas obligé de vous excuser, dit-il en continuant à écrire et à tourner le dos à son visiteur. S’il faut blâmer quelqu’un dans cette lamentable affaire, c’est bien moi.

— Pas du tout, s’exclama Storman. La mesure exceptionnelle qu’ont prise mes supérieurs ne vise qu’à garantir votre sécurité.

— Je suis le seul coupable, poursuivit le Scandinave. Je me porte coupable d’avoir cru que des criminels de votre espèce pouvaient avoir une parole. Ma sotte vanité de scientifique a été flattée de voir que l’on s’intéressait à ces travaux jusqu’aux plus hautes sphères du puissant Reich. J’ai cru que vous vouliez faire progresser la connaissance alors que votre seule ambition reste toujours la même : prouver votre prétendue supériorité en pillant les autres sans la moindre honte...

Storman s’approcha d’Haraldsen et constata en observant les lignes sur le papier que le scientifique appuyait de plus en plus sur son crayon, à mesure qu’il sentait sa présence se rapprocher.

— Je comprends votre trouble et même votre colère, continua-t-il avec calme. Mais nous sommes en guerre et certaines décisions ne peuvent pas toujours être expliquées. Ici votre sécurité est assurée et nous pourrons continuer à travailler.

— Je ne travaillerai jamais avec vous, coupa Haraldsen. Si vous voulez m’interroger, ne vous gênez pas. Vous serez dans votre rôle de geôlier. Je verrai jusqu’où je pourrai résister et me taire. Au fait, vous avez fini mon manuscrit ?

— Non, j’ai été interrompu...

— Alors, rendez-le-moi ! s’exclama le professeur en jetant son crayon sur la table.

Il se leva et affronta enfin le regard de son visiteur. Ses traits étaient tendus et son front barré par trois grandes rides qui traduisaient son énervement. S’il avait tenté de conserver son calme jusque-là, il avait à présent envie de se rebeller. Pour la première fois de sa vie, il aurait même voulu frapper, mais il était loin de faire le poids face à son adversaire.

— Vous allez me rendre ce manuscrit, poursuivit-il. Il ne vous appartient aucunement. Il s’agit du résultat de mes recherches. Et d’ailleurs, beaucoup des détails que j’y ai consignés sont totalement inventés. Je vous l’ai dit, j’ai voulu faire oeuvre de saga à la manière de nos anciens écrivains. Il s’agit là encore d’une sotte vanité de scientifique, désireux de plaire au plus large public.

— Parlez-moi plutôt de Rollon, demanda Storman. Et dites-moi où se trouve la suite de votre livre.

Haraldsen le fixa quelques secondes avec un regard où la colère avait cédé le pas à l’étonnement. Puis, il éclata de rire.

— Ha ha ha ha... Décidément, je vais de découverte en découverte. On m’avait décrit les interrogatoires allemands traditionnels comme des séances de violence extrême. Quand je vous vois à l’oeuvre, dans votre bel uniforme noir comme la mort, j’ai plutôt l’impression d’être face à une gentille institutrice qui interroge un élève pour un examen.

— Arrêtez de rire, lui intima Storman, vexé par la remarque du professeur. Je peux très bien utiliser d’autres méthodes plus radicales qui vous feront passer l’envie de vous moquer de l’uniforme de la SS. Je vous laisse encore une chance : parlez-moi de Rollon et de son Arme de Dieu que vous citez à plusieurs reprises. Ce marteau de Thor, quel est son pouvoir ? Et où se trouve-t-il ?

Le Norvégien ne répondit pas. Il se rassit sur sa chaise, saisit son crayon et recommença à écrire. Une nouvelle fois, il tournait le dos à son visiteur. Storman était piqué à vif. Il fît trois pas jusqu’à la porte et frappa sur le vantail pour appeler le garde. Quand ce dernier arriva, il se retourna et lança une dernière phrase à la silhouette du fond de la cellule.

— N’oubliez pas que cet uniforme qui vous fait tellement sourire est le signe de mon pouvoir. Que vous le vouliez ou non, vous allez devoir me répondre. Et je n’aurai aucun scrupule à user de méthodes moins cordiales.

La porte se referma dans un bruit sec. Haraldsen lâcha instantanément son crayon. Il se prit la tête entre les mains et soupira. Dans quel guêpier avait-il été se fourrer ? Et surtout, comment réussirait-il à taire ce qu’il ne devait pas dire et qu’il n’avait pas eu le temps de finir d’écrire ?