Livre Vingt-Quatrième

Aux PREMIÈRES HEURES du jour, une vingtaine d’hommes se rendit sur la côte normande. Un drakkar prêt à appareiller les attendait. Le drekiskip – bateau dragon – qu’ils avaient choisi était un langskip, un bateau long pourvu d’une trentaine de bancs de nage. Son fond plat associé à sa forme taillée comme la lame d’une épée en faisaient un véritable coursier des mers qui volait sur les flots plus qu’il ne les fendait. La figure de proue en forme de dragon n’avait point été taillée dans le seul but d’effrayer les ennemis. Elle possédait aussi une vocation religieuse et magique. Pour accomplir un aussi long voyage, il s’agissait de se placer sous la protection des anciens dieux qui avaient toujours accompagné les épisodes glorieux des sagas vikings. Nul ne doutait que le dragon serait un précieux intercesseur auprès d’Odin le Borgne.

Skirnir le Roux était déjà monté à bord. Il compta non sans appréhension le nombre de ceux qui avaient accepté de le suivre. À sa grande satisfaction, il constata que tous l’avaient rejoint, même l’inconstant Olav. Dès que l’embarquement fut achevé, Skirnir donna l’ordre de prendre la mer d’assaut. La voile se gonfla rapidement et le drakkar à la proue taillée en tête de dragon naviguait déjà à belle allure sur les flots. Skirnir se mit à l’avant du bateau et ferma longuement les yeux. Il y avait bien longtemps qu’il attendait de revivre un pareil moment. Le vent giflait son visage et les embruns qui lui baignaient sa longue chevelure rousse lui donnaient le sentiment de renaître. La mer était le véritable et unique royaume des Vikings. Elle lui avait tellement manqué et à présent qu’il abandonnait la lascive Normannie, il saurait à nouveau la faire sienne. Peu lui importait d’abandonner tout ce qui avait fait sa richesse et celle de ses frères au cours des armées passées sur ce sol généreux. Un homme vint à sa rencontre sur le pont. Son nom était Sorg le chauve et il le tira de ses rêveries.

— Alors, Skirnir le Roux, lui dit-il. Tu penses sincèrement que la victoire est encore possible ?

— Quand je vous ai dit que je possédais un trésor unique, je ne vous mentais pas. Vous comprendrez bientôt quand vous le verrez à votre tour.

À ce stade de leur périple vers les froides terres du Nord, Skirnir le Roux était encore le seul à savoir que le lourd coffre de bois embarqué à bord du drakkar contenait le plus précieux des trésors : le corps de Hròlfr le Marcheur rigidifié par la mort et autour de son cou, le précieux Marteau de Thor. La redoutable Arme de Dieu.