Chapitre 31

STORMAN ENLEVA SES LUNETTES et se passa lentement les doigts sur les yeux. Il les garda encore quelques instants fermés en s’accordant un court instant de repos avant de remettre ses lunettes. Il referma alors le manuscrit inachevé d’Haraldsen et regarda le portrait d’Heinrich Himmler qu’il avait fait accrocher au mur de son bureau.

Il soupira en se disant qu’il n’était décidément pas à la hauteur de la mission qui lui avait été confiée. Il avait été convaincu de trouver la clé du mystère dans la tombe de Rollon puis dans le manuscrit du Norvégien et chaque fois, il avait échoué. Certes, il savait à présent comment avait été tué Rollon et pourquoi le corps ne se trouvait pas dans sa sépulture de la cathédrale de Rouen. Il pouvait déduire, en toute logique, que le corps avait été ramené en Scandinavie. Mais cela ne l’éclaira pas beaucoup plus sur l’Arme de Dieu. Quel était le pouvoir secret du fameux Marteau de Thor ? D’après les gardiens de l’Ahnenerbe qui avaient veillé sur le professeur norvégien, ce grand fumeur de pipe avait réussi à brûler un paquet de documents avant de mettre fin à ses jours. Il avait emporté son secret dans la tombe même si rien n’affirmait qu’il avait trouvé la clé du mystère...

L’officier fixa encore un instant les yeux froids d’Himmler derrière ses petites lunettes cerclées de métal. Le maître de la SS n’admettait aucune faiblesse.

Avec le temps, Storman avait compris que, contrairement à ce qu’affirmaient ses adversaires, il n’était aucunement question de cruauté dans son comportement. Il s’agissait seulement de faire triompher leurs idées et pour y arriver, peu importaient les sacrifices auxquels il fallait consentir. Le jeune homme s’en voulait. Il ne devait s’en prendre qu’à lui-même s’il n’avait pas encore réussi à élucider le mystère de Rollon. Il se passa la main sur la tête ; cela faisait plusieurs jours qu’il était sujet à de fortes nausées. Même s’il ne voulait pas se l’avouer, elles trahissaient l’angoisse de l’échec qui le tenaillait chaque jour davantage.

C’est à ce moment précis que trois coups résonnèrent sur la porte. Storman lâcha un « Ja » martial et son second Koenig fit alors son entrée dans la pièce.

— Herr Storman, dit-il en se mettant au garde-à-vous, vous avez reçu un appel important du Wewelsburg ! Comme je ne savais pas si vous vous reposiez...

— Ja, répondit Storman sans rien laisser paraître de son trouble. Je travaillais, je ne me reposais pas.

Storman quitta la pièce pour se rendre dans le bureau à côté. Il prit le téléphone et son second quitta la pièce.

— Storman à l’appareil !

— Ja, ici Sievers, répondit une voix encore plus rigide qu’à l’accoutumée. Je dois vous passer quelqu’un...

Une seconde plus tard, la voix changea.

— Storman ? Ici Himmler.

— À vos ordres, Mein Reichsführer ! prononça machinalement Storman tandis qu’il sentait ses jambes se dérober sous lui.

— Ma patience a des limites, mon cher. Cela fait longtemps que vous êtes sur cette affaire et je n’en vois toujours pas les progrès. Or, vous savez à quel point le dossier est important pour nous. La situation est grave, Storman, nos ennemis sont sur le point de réduire à néant l’oeuvre extraordinaire que nous avons accomplie. Je ne les laisserai pas faire, vous m’entendez ?

— Très bien, Mein Reichsführer.

— Vous devez user de tous les moyens. Ne vous encombrez pas de légalité. N’oubliez pas que nous sommes en guerre et surtout, ne fléchissez pas face aux réactionnaires. Je sais que von Bilnitz en est un de leurs pires représentants...

— Ja, Mein Reichsführer.

Himmler laissa quelques instants le silence s’installer. La main de Storman qui tenait le cornet tremblait.

— Les naïfs ! Pour le moment, ils préparent de nouvelles armes aériennes dont ils pensent qu’elles pourront changer le cours de la guerre, poursuivit avec exaltation Himmler. Or, nous savons que l’arme qui nous rendra victorieux de tous nos ennemis n’a rien à voir avec les progrès de la technologie, elle sera purement spirituelle. L’Anticroix réduira à néant toutes les velléités de résistance de nos adversaires et nous établirons le Reich millénaire en parfaite harmonie avec les esprits et les divinités de nos ancêtres. Quant à vous, Storman, si vous échouez, vous le paierez de votre vie. Compris ?

— Compris, Mein Reichsführer. À vos ordres.

La main toujours tremblante, Storman reposa le combiné. Il resta un instant interdit devant le téléphone, comme au garde-à-vous devant un supérieur hiérarchique. Puis il se ravisa. Il poussa la porte et appela :

— Koenig !

Son second entra dans la pièce. Il se mit à son tour au garde-à-vous.

— Écoutez-moi bien, Koenig, commença-t-il sur un ton de reproche. J’exige que vous mettiez la main sur cet archéologue, le dénommé Le Bihan que vous avez maladroitement laissé échapper. Cette ville de Rouen n’est quand même pas grande et je doute qu’il ait réussi à la quitter. Si les circonstances l’exigent, vous viderez chaque maison, chaque grenier et chaque cave pour le retrouver. Il me le faut, mais attention, je le veux vivant ! Des questions ?

— Nein, c’est très clair, Mein Obersturmführer. À vos ordres !

Koenig quitta la pièce tandis que Storman commençait à retrouver son calme. Faire peser sur les autres le poids de ses propres angoisses constituait à coup sûr la meilleure manière de s’en débarrasser. Même s’il s’était fait sermonner, il était fier d’avoir été appelé par Himmler en personne. Le jour n’était plus si lointain où, grâce à sa découverte, il deviendrait un héros du Reich Millénaire.