Chapitre 18

LA PLUME DU STYLO parapha le dernier document contenu dans le signataire de cuir noir frappé de son nom. Fidèle à son habitude, von Bilnitz remit la liasse de feuilles en ordre en tapotant cinq fois leur base sur le plateau de sa table de travail. Cette petite manie faisait partie des multiples gestes qu’il accomplissait depuis sa plus tendre enfance et qui avait pour effet de le rassurer. Né dans une famille où l’application stricte de la discipline remplaçait l’expression des sentiments, il ne s’était jamais posé la question de dissocier le devoir de l’envie. Il veillait à ce qu’aucune tête ne dépassât lors des parades et au même titre, il n’aurait pas supporté qu’une feuille rebelle vienne rompre le bel ordonnancement de la pile de documents qui allait revenir à sa secrétaire. Cette dernière frappa trois petits coups à la porte avant d’entrer. Quand elle fut à sa portée, le Prussien lui tendit le signataire sans la regarder.

— Vous leur avez laissé la grande salle à disposition ? lui dit-il sur une voix qui ne cherchait pas à dissimuler un sentiment d’exaspération.

— Oui, Herr Colonel. Ils s’y sont enfermés depuis ce matin à huit heures et je ne les ai plus entendus depuis. Ils ont fait porter des assiettes de charcuterie et de fromage ainsi que des boissons pour le déjeuner.

— Si ces messieurs de la SS ont reçu leur cochonnaille, vous me voyez pleinement rassuré, murmura ironiquement von Bilnitz.

La secrétaire ne releva pas la remarque et sortit de la pièce. L’officier saisit un crayon et commença à prendre quelques notes dans un petit carnet. Il rédigea une, deux et puis trois lignes. Il s’interrompit ensuite et prit le temps de réfléchir. Il tourna son crayon dans sa main, puis le posa entre l’index et l’auriculaire et commença à le tendre comme s’il avait voulu le tordre. À la troisième pression, le crayon se rompit sous ses doigts et un éclat de bois pénétra dans sa paume. Quelques gouttes de sang se mirent à couler sur la page blanche du petit carnet. Du bout de l’index, le militaire traça sur le papier les contours hésitants de deux runes rouges. Un double SS rouge et tremblant.