Chapitre 37

IL AVAIT FALLU FAIRE VITE. Commencer par convaincre Joséphine, ce qui, il faut l’avouer, n’avait pas été le plus difficile. Ensuite, s’était posée la question de Marc et là, ce fut une autre affaire. Dans le réseau, il avait la lourde responsabilité de la fourniture des faux documents et il ne témoignait évidemment d’aucun enthousiasme à l’idée d’aider l’amant de son ex-fiancée à exaucer tous ses caprices.

Joséphine avait finalement imposé sa volonté face aux exigences à première vue complètement folles de Le Bihan. Et aussi incroyable que cela pouvait paraître, ils avaient trouvé une filière sûre pour les conduire à destination. Il s’agirait d’abord de prendre un bateau de pêche à Fécamp qui les mènerait jusqu’aux eaux territoriales belges. De là des compagnons belges et hollandais les mèneraient jusqu’au Danemark. Il ne leur resterait plus alors qu’à emprunter la voie maritime pour arriver en Norvège. L’expédition était hasardeuse, mais la décision fut rapidement prise. Et le grand soir arriva. Après une route sans encombre jusqu’à Fécamp, il restait à rejoindre le bateau.

— Je suis sûre que je ne me suis pas assez chaudement habillée, regretta Joséphine en descendant vers le port. On raconte que les Lapons vivent dans des maisons de glace et qu’ils chassent la baleine sur des traîneaux tirés par de grands chiens blancs.

— Tu devais encore être absente à l’école ce jour-là, répondit Le Bihan en souriant. Les Lapons vivent en Finlande et les igloos sont au pôle Nord. Pour ce qui est de la pêche à la baleine en traîneau, je demande à voir...

— Pfff, soupira la jeune femme. Quand tu en auras assez de jouer au « Monsieur Je-Sais-Tout », tu me feras signe. En attendant, si tu ne pouvais pas compter sur nous, tu n’aurais pas eu notre brave Gaston pour nous accueillir à bord.

Le Bihan tendit la main et saisit le bras de Joséphine qui en laissa presque tomber la petite valise dans laquelle elle avait rassemblé quelques effets. Surprise, elle ne lui opposa aucune résistance. Il faut dire que l’assaut était d’autant plus agréable qu’il consistait en un baiser inattendu au bord de l’eau.

— Voilà pour les remerciements, dit Le Bihan en relâchant son étreinte.

— Je dirais volontiers que ce n’est pas cher payé et que je mérite un petit supplément, répondit Joséphine les yeux mi-clos, mais je crois que nous n’avons pas beaucoup le temps. Tant pis, nous profiterons du voyage.

— Psst...

Une voix puis un visage sorti du noir interrompit la scène romantique. Gaston venait mettre un terme aux effusions.

— Alors les amoureux ? dit le vieil homme d’une petite voix. On embarque ?

— Oui, mon Capitaine, répondit Joséphine en embrassant Gaston. À vos ordres ! Vous pourrez compter sur un équipage irréprochable.

Ils se dirigeaient ensuite tous les trois vers le bateau d’un pas rapide et le coeur joyeux. Soudain, un faisceau lumineux les immobilisa. Il se concentra d’abord sur leurs pieds avant de remonter rapidement vers leurs visages. Ils n’avaient pas encore eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait qu’une grosse voix surgit de l’obscurité de cette fin de nuit.

— Alors, on part en voyage ?

Gaston, Joséphine et Le Bihan se trouvèrent face à une troupe de SS en armes. Deux hommes se tenaient devant les autres.

— Je me présente, Obersturmführer Storman. Depuis le temps que je cherche à vous rencontrer... Heureusement que les gens se parlent encore à notre époque moderne. Nous avons eu l’occasion de rencontrer un de vos voisins, un dénommé Gustave. Un homme très sympathique. Dommage pour vous qu’il supporte aussi mal l’alcool...

— Ce n’est pas ce que vous croyez, se défendit Joséphine.

— Ne vous fatiguez pas, Mademoiselle, reprit Storman. Nous nous sommes laissé dire que vous comptiez entreprendre un petit voyage archéologique en Scandinavie. Plus précisément en Norvège. Quelle bonne idée ! Pour vous prouver que nous ne sommes pas des ennemis, nous avons décidé de vous faciliter la tâche. Nous disposons de meilleurs moyens pour y arriver que cette coquille de noix !

— Pas question, nous ne... s’indigna Le Bihan.

— Je crains, Monsieur le futur professeur, poursuivit Storman, que vous n’ayez pas vraiment le choix. Nous sommes dans l’obligation de retenir vos amis ici. Et surtout votre chère Mademoiselle Joséphine. Si vous refusez de nous mener à bon port, elle fera les frais de votre stupide entêtement.

— Ne les écoute pas, s’exclama Joséphine en colère. De toute façon, ils ne me laisseront aucune chance !

Le Bihan regardait la jeune femme fermement tenue par deux SS. Il ne s’était jamais senti aussi impuissant.

— Nous ne sommes pas des monstres, ajouta Storman. Certes, nous ne sommes pas du même côté de la barrière, mais nous faisons tous les deux le même métier dans le civil. Nous nourrissons la même passion. Je crois qu’il est temps de mettre nos découvertes en commun pour percer le secret de Hròlfr le Marcheur.

— Si notre but est identique, murmura Le Bihan, nos motivations sont totalement opposées.

— Il sera toujours temps de philosopher lors du voyage, intervint Prinz. Allons-y !

Le Bihan se retourna vers Joséphine. Obéissant à un élan irrépressible, il alla lui donner un baiser.

— Fais-moi confiance, Joséphine, lui dit-il en s’efforçant de sourire. Je te dois beaucoup et bientôt nous nous retrouverons.

Joséphine lui sourit à son tour, mais elle ne trouva ni le courage ni les mots pour lui répondre. Elle sentit couler une larme sur ses joues en voyant les Allemands entraîner Le Bihan vers une voiture noire. À cet instant précis, elle eut le sentiment terrible qu’elle ne le reverrait plus jamais.