Chapitre 19

POUR LA TROISIÈME FOIS, Storman ouvrit la vieille Bible. Il ne paraissait pas s’intéresser à son contenu, mais en revanche, il en détaillait les moindres détails de la reliure. Celle-ci pouvait-elle faire office de cache destinée à y dissimuler quelque document secret ? Les lettres imprimées sur la tranche faisaient-elles partie d’un code qui restait à déchiffrer ?

Agacé de ne rien trouver, il la reposa et regarda les trois hommes qui étaient tous plongés dans la consultation de leurs documents. Sur la table était réuni le fruit de leurs perquisitions de la veille. Storman n’était pas mécontent du butin : des bibles, des anciens registres de la ville, des gravures, des petites sculptures, des images en couleurs, un projet de monument censé célébrer la gloire des hommes du Nord, des livres d’histoire et même la recette d’un gâteau « à la mode viking ».

Tout ce qui pouvait concerner de près ou de loin le souvenir de Rollon avait été perquisitionné. Il avait là certes de quoi être satisfait, mais Storman n’était pas un naïf. Il savait que cet amoncellement qui ressemblait à un déballage de brocante n’avait rien de très scientifique. Pour une fois, on ne lui demandait pas de légitimer les théories racistes de ses supérieurs. Sa mission était beaucoup plus ardue : il lui fallait découvrir le secret de la force des anciens Vikings et il n’était pas convaincu que cette pêche miraculeuse serait suffisante. Wolfram Sievers lui avait laissé entendre qu’il n’avait pas de temps à perdre et qu’il lui fallait rapidement trouver la réponse aux questions qu’il se posait.

Dès lors, il avait décidé de quitter au plus vite le Wewelsburg et de revenir à Rouen, accompagné de ses trois assistants qui avaient la particularité d’être autant versés dans l’examen de textes anciens que performants dans l’exercice des interrogatoires modernes. Érudition et efficacité : voilà exactement ce que le SS attendait de ses hommes qui devaient également être dépourvus de tout scrupule quand il s’agissait d’atteindre le but fixé.

L’interrogatoire d’Haraldsen avait commencé par le mettre mal à l’aise, mais il s’était vite rendu compte que ce lâche n’avait que le sort qu’il méritait en se faisant enfermer. Il ne voulait pas parler pour l’instant, mais il finirait bien par céder un jour et dans l’immédiat, il lui restait son manuscrit à achever.

— Alors, lâcha Storman de mauvaise humeur, vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?

— Nein, mein Obersturmführer, répondit Koenig. Tous les textes ressassent sans cesse la même histoire. Le preux Rollon venu du Nord qui a conclu avec le roi Charles la paix de Saint-Clair-sur-Epte en 911. Il était le père de Guillaume Longue Épée et fut inhumé dans la cathédrale de Rouen où il repose encore. Il est unanimement reconnu comme le fondateur de la Normandie et il est respecté comme tel dans toute la région.

— Voilà pour l’histoire communément admise, précisa Ralfmusen. En dehors de cela, toutes les variantes existent. Nul ne sait avec précision où il est né, au Danemark ou en Norvège, ni avec qui il a été marié ― Dudon, Popa ou Gisèle, la fille du roi Charles ?

— Oui, intervint Schmidt, mais tous s’accordent à dire qu’il a renié le paganisme pour embrasser la foi chrétienne. Ses hommes se sont dès lors rangés sous la bannière du Christ et ont accepté de défendre les marches du royaume de France contre les invasions d’autres troupes vikings.

Storman avait écouté avec attention le résultat des recherches de ses hommes, mais il n’avait rien appris de nouveau pour autant. Il jeta un coup d’oeil sur un vieux registre paroissial où quelques noms évoquaient le patronyme de Rollon, puis jugea que cette piste était sans intérêt. Il jeta le précieux document sur la table et haussa le ton.

— Il y a quelque chose qui ne colle pas ! Comment expliquer la présence de la croix dans le tombeau et surtout, comment expliquer que le sarcophage soit vide ?

— Il y a peut-être quelque chose, Obersturmführer, se hasarda à dire Schmidt.

— Quoi ? répondit l’officier.

— L’homme chez qui nous avons trouvé la collection d’images en couleurs des Vikings... Il s’agissait d’un vieil homme, un peu étrange. Au début, je pensais qu’il se moquait de nous et puis j’ai compris qu’il n’avait plus toute sa tête. Eh bien, il nous a parlé d’une femme. On l’appelle Léonie dans le pays, elle connaît pas mal de choses sur la région et on murmure même qu’elle serait un peu sorcière...

Storman soupira. La piste semblait pour le moins farfelue, mais à ce stade, toutes les idées lui semblaient bienvenues.

— D’accord, conclut l’officier SS, nous allons immédiatement rendre visite à cette femme. Les sorcières ont toujours des secrets à révéler...