Chapitre 5

LE PRÉLAT était dans tous ses états. Il arpentait son bureau du palais archiépiscopal de long en large en faisant de grands gestes avec les bras. Son agitation contrastait avec le calme des trois visiteurs qui avaient souhaité le rencontrer.

— Ce que vous me demandez est proprement impossible ! s’exclama l’archevêque. Je ne puis fermer une cathédrale aux fidèles, ne serait-ce qu’une heure, pour laisser trois membres de la SS la visiter à leur aise !

— Allez... Il n’y a rien d’impossible pour un homme comme vous, lâcha Storman. Cette maison de Dieu est aussi la vôtre et à ce titre, vous en disposez comme bon vous semble.

Le prélat était au comble de l’indignation. Lui qui était d’ordinaire tellement maître de ses paroles et de ses émotions était sur le point de prononcer des mots qu’il aurait pu regretter.

— SS ou pas, se contenta-t-il de répondre, je ne puis, Messieurs, accéder à votre demande. Croyez bien que je le regrette, mais c’est comme cela... Vous n’avez qu’à visiter notre cathédrale comme tout le monde. D’ailleurs, il y a très peu de monde à cette heure du jour et si vous le souhaitez, nous pourrons vous donner tous les renseignements utiles.

L’Obersturmführer Storman tourna la tête de gauche à droite en poussant un petit soupir d’exaspération.

— Que vous êtes compliqués, vous, les Français ! dit l’officier allemand. Vous commencez toujours par rechigner alors qu’il est si simple d’obéir.

Prononçant ces paroles, l’officier tira un revolver de sa poche et le braqua sur l’homme d’Église.

— J’aurais aimé ne pas devoir en arriver là, mais vous m’y contraignez, poursuivit-il. Faites ce que nous vous demandons : fermez cette cathédrale et ensuite, nous vous enfermerons dans votre sacristie, le temps de faire notre petite visite. Puis, si vous avez été coopératif et surtout très calme, vous n’entendrez plus parler de nous.

Les ordres de Storman furent rapidement exécutés et le prélat enfermé dans son bureau et gardé par un des SS, le Scharführer Schmidt. Les trois hommes se dirigèrent ensuite vers la tour de guet puis la chapelle d’Aubigné qui communiquait avec le choeur de la cathédrale. L’officier sortit un carnet et guida ses trois hommes vers la chapelle du Petit-Saint-Romain. Quand il arriva devant le gisant du duc Rollon, l’Allemand retint son souffle. Il passa lentement la main sur la dépouille de pierre en fermant les yeux. Il y avait dans son geste une attitude presque mystique, comme s’il cherchait à s’approprier une partie de la force conservée par le mort, malgré le poids des siècles écoulés. Puis, il rouvrit les yeux et claqua les doigts.

— Schnell, dit-il à ses deux hommes, ouvrez !

Les deux SS Koenig et Ralfmusen saisirent chacun un pied-de-biche et commencèrent à faire glisser le couvercle du gisant. Petit à petit, la sculpture du premier duc des Normands commença à bouger. Quoique régulier, le mouvement était très lent, et Storman ne cachait pas son impatience. Ses encouragements auxquels se mêlaient des reproches résonnaient dans la cathédrale. À mesure qu’il donnait des ordres à ses hommes pour qu’ils s’activent, la sueur commençait à perler sur son front. Soudain, dans un crissement sonore, le couvercle se décala suffisamment pour que l’on pût regarder à l’intérieur. Storman saisit une torche et écarta ses deux hommes sans ménagement. Il se pencha sur le sarcophage et s’exclama :

— Grosser Gott.