Chapitre 27

PIE XII serra chaleureusement les mains du cardinal puis l’invita à s’asseoir. L’ecclésiastique salua le souverain pontife et prit place sur le siège. L’inévitable secrétaire personnel du pape servit ensuite aux deux hommes un verre d’eau avant de quitter la pièce.

— Racontez-moi. Comment s’est passé l’entrevue ? interrogea Pie XII.

— Votre Sainteté, répondit le cardinal avec préoccupation, l’envoyé du Reich tenait surtout à nous mettre en garde pour que nous ne fassions pas le jeu des ennemis de l’Axe. Il a ajouté que la moindre ingérence vaticane dans les affaires de SS serait de nature à provoquer un grave incident diplomatique duquel nul n’aurait rien à gagner.

— Avaient-ils des accusations précises à formuler à notre encontre ? poursuivit le pape.

— Leurs services de renseignements sont bien organisés, soupira le cardinal. Il m’a parlé d’un jeune homme dangereux qui serait, selon lui, en contact avec un réseau de terroristes en Normandie. D’après ce que j’ai compris, ils l’ont bien à l’oeil, mais ils attendent de voir le sort qu’ils lui réservent. Il m’a également parlé de recherches archéologiques de première importance menées par l’institut scientifique et historique de la SS.

— Tout ce que vous me racontez me fait penser au chien qui montre ses crocs avant de mordre, dit Pie XII d’une voix sourde. Jusqu’ici, nous avons eu droit à un avertissement, mais, tôt ou tard, viendra le moment de la morsure.

Le cardinal perçut l’angoisse du pape comme il ne l’avait encore jamais ressentie. Il chercha les mots pour le réconforter.

— Votre Sainteté, je l’ai assuré de notre bonne foi et de notre parfaite volonté de ne point nous ingérer dans les affaires allemandes. La diplomatie vaticane est réputée pour son sens de la mesure...

— Vous êtes un homme adroit, répondit le souverain pontife. Vous savez que je vous accorde mon entière confiance, mais en ces temps chaotiques, la voix de Dieu n’est malheureusement plus toujours celle que les hommes écoutent le mieux. Nombreux sont ceux en Allemagne et jusqu’au plus haut niveau de l’État à vouloir ressusciter le culte néfaste des anciennes idoles. Ces fous hérétiques n’hésiteraient pas à nous faire retourner vingt-cinq siècles en arrière afin de prouver leur soi-disant authenticité germanique. Ils n’ont que le mot d’aryanité à la bouche et ils courent le monde pour prouver leurs dangereuses théories... Vous n’êtes pas sans savoir qu’Himmler en personne a abandonné la religion chrétienne en 1937. Mais il y a pire : nos services ont même eu vent de projets d’occupation du Vatican. Même s’ils ont abandonné cette chimère, ils ne reculeront devant rien !

Le cardinal n’en revenait pas de la violence que le pape exprimait à travers ses paroles. D’ordinaire, Pie XII était un homme mesuré qui n’élevait jamais la voix. Pour la première fois, son visage sec avait rougi et s’était couvert de sueur. Toutefois, il était difficile de définir le sentiment qui lui causait cette réaction extrême. S’agissait-il seulement de colère ou aussi de peur ?

— Dans leur entreprise de destruction des valeurs, poursuivit le pontife sans reprendre son calme, l’Église apostolique et romaine représente le prochain ennemi à abattre. Dieu seul sait quels anciens démons ils sont encore prêts à réveiller pour parvenir à leurs fins... Mais Rome ne se laissera pas faire. Le trône de Pierre sera défendu comme nous luttâmes jadis contre tous les païens qui combattaient la vraie Foi en jetant nos frères aux lions dans l’arène. Nous avons le droit et la vérité pour nous !

Pie XII paraissait épuisé, marqué jusque dans sa chair par les mots qu’il venait de prononcer. Il se tut et regarda droit devant lui, comme si son regard se perdait dans le vide, bien au-delà des murs de son bureau. Un peu gêné, le cardinal prit congé et laissa le pape seul avec ses questions. Le secrétaire entra pour lui servir un autre verre d’eau.