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Il était six heures et, à la centrale de Larksoken, la conférence interdépartementale hebdomadaire touchait à sa fin. Elle avait duré trente minutes de plus qu'à l'accoutumée. Selon le Dr Alex Mair, normalement en mesure de faire triompher son point de vue car il était un président remarquablement expéditif, peu d'idées originales émergeaient après trois heures de discussion, mais l'ordre du jour avait été très chargé : plan de sûreté révisé encore à l'état de projet, réorganisation des structures internes pour ne faire que trois des sept départements existants – ingénierie, production, ressources – rapport du laboratoire régional sur le contrôle de l'environnement, préparation de l'agenda pour le comité de liaison local. Il s'agissait là d'une manière de jamboree lourd et contraignant mais utile, qui exigeait une préparation poussée, car il faisait intervenir les départements ministériels intéressés, les autorités locales, les responsables de la police et des pompiers, le syndicat national des exploitants agricoles et l'association des propriétaires terriens. Mair, qui regrettait parfois le travail et le temps consacrés à cette réunion, reconnaissait néanmoins son importance.

La conférence hebdomadaire avait lieu dans son bureau autour de la grande table placée devant la fenêtre sud. La nuit était tombée et l'énorme panneau de verre était un rectangle noir dans lequel il voyait les visages reflétés comme les têtes sans corps des voyageurs dans un train de nuit brillamment éclairé. Il se doutait que certains de ses chefs de service, en particulier Bill Morgan (travaux) et Stephen Mansell (maintenance), auraient préféré une ambiance plus détendue dans son salon privé juste à côté, de confortables fauteuils bas, quelques heures de conversation sans ordre du jour précis, peut-être ensuite un verre ensemble au bar du coin. C'était évidemment un style de direction ; ce n'était pas le sien.

Il referma la chemise dans laquelle son assistante avait méticuleusement classé tous les documents et références, puis dit : « Autre chose ? » sur un ton qui était à lui seul un congé.

Mais il ne devait pas s'en tirer si facilement. À sa droite, comme d'habitude, Miles Lessingham, chef des opérations, projetait sur la vitre une sorte de tête de mort hydrocéphale et, passant de l'image à l'original, Mair se dit qu'il ne voyait pas beaucoup de différence. Les lumières dures des spots au-dessus d'eux projetaient des ombres épaisses, et sous les yeux enfoncés la sueur brillait sur le large front un peu bossué, avec sa mèche de cheveux blonds indisciplinés. Il s'étira dans son fauteuil et dit alors : « Ce poste proposé – ou dont on dit qu'il a été proposé plutôt –, je suppose que nous sommes en droit de demander s'il vous a été officiellement offert, ou est-ce indiscret ? »

Mair répondit calmement : « Il ne l'a pas été, la publicité était prématurée. La presse s'en est emparée on ne sait trop comment, comme elle le fait en général, mais il n'y a encore rien d'officiel. Un des résultats fâcheux de notre habitude actuelle de divulguer tous les renseignements importants, c'est que les plus directement intéressés sont les derniers à être au courant. Si elle devient officielle, vous sept, vous serez les premiers à être avertis. »

Lessingham reprit : « C'est que les conséquences ici seront sérieuses, Alex, si vous partez. Le contrat déjà signé pour le nouveau réacteur, la réorganisation interne qui provoquera forcément des perturbations, la privatisation de l'électricité – c'est un mauvais moment pour des changements au sommet. »

Mair dit : « Est-ce qu'il y a jamais un bon moment ? Mais avant qu'il se produise, s'il se produit, je ne vois pas l'utilité d'en discuter. »

John Standing, le chimiste de la centrale, dit : « Mais selon toute probabilité, la réorganisation intérieure va se poursuivre ?

— Je l'espère, compte tenu du temps et de l'énergie que nous avons consacrés à sa préparation. Je serais étonné qu'un changement au sommet modifie une réorganisation nécessaire et déjà engagée. »

Lessingham demanda : « Qui nommeront-ils : un directeur ou un manager ? » La question était moins innocente qu'il y paraissait.

« Un manager, j'imagine.

— Vous voulez dire que la recherche ne sera pas poursuivie ? »

Mair dit : « Quand je partirai, tôt ou tard, la recherche partira aussi, vous l'avez toujours su. Je l'ai apportée avec moi et je n'aurais pas accepté le poste si je n'avais pas pu la continuer ici. J'ai demandé certaines facilités et je les ai obtenues. Mais la recherche a toujours été une manière d'anomalie à Larksoken. Nous avons fait du bon travail et nous en faisons encore, mais logiquement il devrait être fait ailleurs, à Harwell ou Winfrith. Autre chose ? »

Mais Lessingham ne se laissait pas intimider. « Vous dépendrez de qui ? Du ministre de l'Énergie directement, ou de l'Agence pour l'énergie atomique ? »

Mair connaissait la réponse, mais n'avait pas la moindre intention de la donner. Il se contenta de dire tranquillement :

« Le point est encore en discussion.

— De même, sans aucun doute, que des questions subsidiaires comme salaire, étendue des responsabilités et titre. Contrôleur de la puissance nucléaire a un certain cachet. Ça me plairait, mais qu'allez-vous contrôler, exactement ? »

Il y eut un silence. Puis Mair dit : « Si l'on connaissait la réponse à cette question, la nomination aurait certainement déjà été faite. Je ne veux pas étouffer la discussion, mais est-ce que nous ne ferions pas mieux de nous limiter aux sujets qui sont de la compétence de cette conférence ? Bien, y a-t-il autre chose ? » Et cette fois, personne ne répondit.

Hilary Robarts avait déjà refermé son dossier. Elle n'avait pas pris part aux interrogations, mais les autres, Mair le savait, étaient persuadés que c'était parce qu'il lui avait déjà donné les réponses.

Avant même que le groupe fût parti, Caroline Amphlett, l'assistante personnelle du directeur, était venue enlever les tasses à thé et débarrasser la table. Lessingham avait l'habitude de laisser son ordre du jour – protestation personnelle contre l'amoncellement de paperasse produit par la conférence hebdomadaire. Le Dr Martin Goss, chef du service de pathologie, avait, comme toujours, couvert son bloc-notes de montgolfières décorées de motifs compliqués, occupé au moins en partie par sa passion intime. Caroline Amphlett évoluait comme toujours avec une grâce efficace et discrète. Ni l'un ni l'autre ne dit mot. Elle travaillait depuis trois ans comme assistante personnelle de Mair et il ne la connaissait pas mieux que le jour où il l'avait interrogée sur ses capacités, dans ce même bureau. Grande, blonde, elle avait un teint de porcelaine et des yeux plutôt petits, très écartés, d'un bleu qui aurait été jugé superbe si elle avait fait montre d'un peu plus d'animation. Mair la soupçonnait d'utiliser son poste confidentiel pour maintenir délibérément une réserve réfrigérante. Il n'avait jamais eu de meilleure secrétaire, aussi avait-il été irrité qu'elle eût fait clairement comprendre que s'il était déplacé, elle souhaitait rester à Larksoken. Pour des raisons personnelles, avait-elle dit. Évidemment, Jonathan Reeves, jeune ingénieur de la maison. Mair avait été surpris et chagriné de cette décision, comme de devoir affronter un nouveau poste avec une nouvelle secrétaire, mais il était aussi intervenu une autre réaction, plus troublante. Il n'était pas attiré par son genre de beauté et il l'avait toujours jugée frigide. Il était déconcertant de penser qu'une nullité acnéique avait découvert et peut-être exploré des profondeurs que lui-même, dans leur intimité quotidienne, n'avait même pas soupçonnées. Il s'était parfois demandé, bien que sans réelle curiosité, si elle n'était pas moins accommodante, plus compliquée qu'il l'avait supposé, si la façade qu'elle présentait à la centrale, cette efficacité sans humour, n'avait pas été soigneusement édifiée pour dissimuler une personnalité plus complexe. Mais si la vraie Caroline avait cédé à Jonathan Reeves, si vraiment elle aimait et désirait ce peu séduisant empaillé, alors elle ne méritait même pas l'hommage de sa curiosité.