34

Il y avait un nombre étonnant d'agences de recherches et d'investigations dans les pages jaunes et apparemment fort peu de différences entre elles. Il choisit l'une des plus importantes et nota son numéro de téléphone à Londres. Impossible d'appeler de la centrale. Mais il ne voulait pas non plus attendre jusqu'au soir d'être rentré chez lui, où il serait encore moins tranquille. Il décida donc de déjeuner dans un café du voisinage et d'utiliser une cabine publique.

La matinée lui sembla interminable, mais à midi, il annonça qu'il voulait manger de bonne heure et s'en alla, non sans avoir vérifié qu'il avait assez de monnaie. La cabine la plus proche était dans le village, près de l'épicerie, mais il n'avait pas besoin de se cacher.

Très vite une voix de femme répondit à son appel. Il avait préparé ce qu'il voulait dire et elle parut ne rien trouver d'étrange à sa demande. Mais il se révéla que ce ne serait pas aussi facile qu'il l'avait espéré. Oui, l'agence pouvait certainement retrouver la trace d'une personne avec les renseignements dont il disposait, mais il n'y avait pas de tarif fixe. Tout dépendait de la difficulté des recherches et du temps passé. Jusqu'à ce qu'une demande expresse ait été reçue, impossible de donner ne fût-ce qu'une estimation. Le chiffre pouvait varier entre deux cents et quatre cents livres. Elle lui suggérait d'écrire immédiatement en donnant tous les renseignements en sa possession et en indiquant clairement ce qu'il demandait. La lettre devait être accompagnée d'un acompte de cent livres. L'affaire serait certainement traitée en urgence, mais jusqu'à réception de la demande, ils ne pouvaient donner aucune assurance quant au délai. Il la remercia, lui dit qu'il allait écrire et reposa le combiné, bien content de ne pas avoir donné son nom. Il s'était imaginé qu'ils allaient noter immédiatement les renseignements, lui indiquer le prix et lui promettre des résultats rapides. Tout cela était trop officiel, trop coûteux et trop lent. Il se demanda s'il allait essayer une autre agence, mais se dit que dans un secteur aussi compétitif, elle ne lui donnerait sans doute pas de nouvelles plus encourageantes.

De retour à la centrale, il avait presque décidé d'abandonner. Et puis, tout à coup, l'idée lui vint qu'il pourrait faire ses recherches lui-même. Le nom n'était pas courant, il y aurait peut-être un Amphlett à Londres, ou sinon il pourrait essayer quelques-unes des grandes villes. Et puis le père avait été officier. Il existait peut-être un genre d'annuaire militaire qu'il aurait la possibilité de consulter. Il serait judicieux de faire quelques investigations avant d'engager des dépenses auxquelles il ne pourrait peut-être pas faire face. Au reste l'idée d'écrire à une agence, de coucher sa demande sur le papier, le décourageait. Il commença à se sentir jouer un rôle de conspirateur, si insolite qu'il stimulait et satisfaisait à la fois une partie de sa nature dont il n'avait même pas soupçonné l'existence jusqu'alors. Il allait agir seul et s'il ne réussissait pas, il serait temps de repartir sur de nouvelles bases.

Et le premier pas était si remarquablement simple qu'il eut honte de ne pas y avoir pensé plus tôt. De retour dans la bibliothèque, il consulta l'annuaire du téléphone pour Londres. Il y avait un P.C. Amphlett, Pont Street, SW1. Il regarda la ligne un moment, puis sortit son carnet avec des doigts tremblants et nota le numéro de téléphone. Les initiales étaient celles de la mère de Caroline, mais il n'y avait aucune autre indication. Il pouvait parfaitement s'agir d'un homme. Ce pouvait être une coïncidence. Et le nom de la rue ne lui disait rien, bien qu'il n'eût pas l'impression que SW1 pût être un quartier pauvre de Londres. Mais lui aurait-elle dit un mensonge qui pouvait être décelé par un simple coup d'œil à l'annuaire du téléphone ? Seulement si elle était tellement sûre de son ascendant, de l'état d'esclavage où elle l'avait réduit, tellement sûre qu'il était stupide et incapable qu'elle ne s'en était pas souciée. Elle avait voulu cet alibi et il le lui avait fourni. Et s'il se rendait à Pont Street et découvrait que la dame ne vivait pas du tout dans la misère, alors qu'y avait-il eu de vrai dans tout ce qu'elle lui avait dit ? Quand exactement s'était-elle trouvée sur le cap et pour quoi faire ? Mais c'étaient là des soupçons qu'il ne pouvait pas prendre vraiment au sérieux. L'idée que Caroline avait tué Hilary Robarts était ridicule. Mais pourquoi n'avait-elle pas voulu dire la vérité à la police ?

Il savait désormais quelle allait être la démarche suivante : sur le chemin du retour, téléphoner au numéro de Pont Street et demander Caroline. Cela prouverait au moins que c'était – ou n'était pas – l'adresse de sa mère. Dans le premier cas, il demanderait un jour de congé, ou attendrait le samedi et trouverait un prétexte pour aller à Londres. Là, il vérifierait lui-même.

Il eut bien du mal à se concentrer sur son travail. Il craignait aussi de voir apparaître Caroline pour lui proposer de l'accompagner chez elle. Mais elle semblait l'éviter cet après-midi-là, et il en fut soulagé. Il partit dix minutes avant l'heure en invoquant une migraine et vingt minutes plus tard il se retrouvait dans la cabine téléphonique de Lydsett. La sonnerie retentit pendant près d'une minute et il avait presque perdu espoir quand une voix de femme répondit, donnant le numéro lentement et distinctement. Il avait décidé de prendre l'accent écossais, il se savait bon imitateur et sa grand-mère maternelle était écossaise. Il dit : « Est-ce que je pourrais parler à Miss Caroline Amphlett, s'il vous plaît ? »

Un long silence, puis la femme demanda d'un ton rébarbatif :

« Qui est à l'appareil ?

— Je m'appelle John McLean. Nous sommes de vieux amis.

— Vraiment Mr McLean ? Dans ce cas il est bien étrange que je ne vous connaisse pas et qu'apparemment vous ne sachiez pas que Miss Amphlett n'habite plus ici.

— Alors pourriez-vous me donner son adresse ? »

Encore un silence. Puis la voix dit : « Je ne pense pas que j'accepterais de faire ça, Mr McLean. Mais si vous voulez laisser un message, je ferai en sorte qu'il lui parvienne. »

Il demanda : « Est-ce Mrs Amphlett, sa mère, que j'ai au bout du fil ? »

La voix rit. Ce n'était pas un rire agréable. Puis elle dit : « Non, je ne suis pas sa mère. Je suis Miss Beasley, la gouvernante. Mais vous aviez vraiment besoin de le demander ? »

Et puis l'idée lui vint qu'il pouvait y avoir deux Caroline Amphlett, deux mères avec les mêmes initiales. Les chances étaient minces, mais mieux valait s'en assurer. Il dit : « Est-ce que Caroline travaille toujours à la centrale de Larksoken ? »

Cette fois, pas d'erreur possible. La voix était durcie par l'hostilité quand elle répondit : « Si vous savez ça, Mr McLean, pourquoi prendre la peine de m'appeler ? »

Et le combiné fut fermement remis en place.