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Les corps furent rejetés deux jours plus tard à trois kilomètres au sud de Hunstanton, ou du moins ce qu'il en restait suffit-il pour permettre de les identifier de façon certaine. Le lundi matin, un contrôleur des contributions en retraite promenant son dalmatien sur la plage le vit flairer ce qui ressemblait à un gros bout de lard entortillé dans des algues, roulant et glissant au bord de l'eau. Au moment où il s'approchait, l'objet d'abord aspiré par une lame qui se retirait fut projeté à ses pieds par la suivante et il découvrit avec horreur le buste d'une femme coupé net à la taille. Il en resta pétrifié pendant une seconde, tandis que l'eau bouillonnait dans l'orbite vide de l'œil gauche et ballottait les seins flasques. Puis il se détourna, secoué par des vomissements explosifs, avant de s'éloigner en titubant comme un ivrogne.

Le corps de Caroline Amphlett, intact, fut rejeté par la même marée avec des planches du bateau et une partie du toit de la cabine. Daniel le Dingue, un inoffensif et souriant batteur de grève, les trouva lors d'une de ses sorties régulières. Le bois attira d'abord son attention et il tira les planches au sec avec des gloussements de satisfaction, puis, sûr de son trésor, examina la noyée avec perplexité. Ce n'était pas le premier corps qu'il trouvait depuis quarante ans qu'il écumait les plages et il savait ce qu'il fallait faire, les gens qu'il fallait prévenir. D'abord, il la prit sous les bras et la tira hors d'atteinte de la marée, puis, gémissant doucement comme s'il déplorait sa maladresse et le manque de réaction du corps, il s'agenouilla à côté d'elle, retira sa veste et l'étendit sur les lambeaux de la blouse et du pantalon de la noyée.

« On est bien co' ça ? demanda-t-il. On est bien co' ça ? »

Puis il écarta avec soin les cheveux qu'elle avait dans les yeux et, tout en se balançant doucement, il se mit à lui fredonner une berceuse, comme à un enfant.